Promenons-nous aux champs ... de bataille !

2020 - Histoire du rail
Affiche promouvant un « pèlerinage au champ de bataille » de Thiepval (Somme), vers 1920.

 

Au sortir du premier conflit mondial, la Compagnie du chemin de fer du Nord emmène ses voyageurs visiter champs de bataille, ruines et paysages dévastés du nord de la France.

Dès 1919, la Compagnie ferroviaire met en place cinq premiers voyages touristiques à destination du grand public. Communications publicitaires et correspondances de l’époque préfèrent l’expression de « pèlerinages aux champs de bataille » ou « pèlerinages aux régions dévastées », le terme de « circuit touristique » étant considéré comme dégradant.

Affiche promouvant des « pèlerinages aux régions dévastées », vue lithographique de dommages causés aux mines de Lens (Pas-de-Calais), 1919-1920.
Brochure publicitaire pour le « 5e pèlerinage aux régions dévastées », 1919-1920.

 

Dans un contexte de négociation du traité de paix avec l’Allemagne, le déplacement aux champs de bataille est vécu comme un acte de patriotisme. La compagnie veut montrer au plus grand nombre les dommages causés par « la barbarie de l’Énnemi ». Les arrêts s’effectuent dans des villes martyrs comme Lens, Arras ou encore Soissons et Noyon. Lille sert de point de départ pour des visites sur le front belge.

Des trains spécialement aménagés permettent de profiter pleinement de la vue sur une campagne défigurée par le conflit.

Photographie d’un pont dévasté, Lens (Pas-de-Calais), 1919-1920.
Photographie d’un champ de débris, entre Lens et Arras (Pas-de-Calais), 1919-1920.

 

Des bus récupèrent les visiteurs en gare pour poursuivre le voyage dans le confort d’un véhicule aménagé pour les protéger des intempéries. Les voyageurs profitent des arrêts pédestres pour récupérer des « souvenirs », tels un débris de vitrail, la pierre d’un bâtiment éventré ou les feuilles d’une plante s’épanouissant au milieu des ruines.

Des cartes postales sont vendues au profit des sinistrés et les agents de la compagnie mettent en vente des guides touristiques. Le voyage retour permet de profiter d’un repas chaud à l’intérieur du wagon-restaurant.

Coupure de presse documentant un « pèlerinage au champ de bataille » organisé par la Compagnie du chemin de fer du Nord, 1919.

 

Carte du réseau ferré du Nord : itinéraire suivi par un groupe de journalistes américains, 1919.

 

Le succès populaire et financier de la session de 1919 conduit la Compagnie du chemin de fer du Nord à réitérer son offre l’année suivante, avec toutefois des aménagements sur certains parcours. La compagnie tente de capter un public anglophone, à travers une vaste campagne publicitaire ainsi que la sollicitation de son réseau de correspondants. Le public demeure surtout originaire de Paris et plutôt bourgeois, le prix des billets étant hors de portée d’une famille ouvrière.

L’exploitation touristique des champs de bataille s’avère néanmoins éphémère. Avec la reconstruction, les cimetières militaires et monuments aux morts deviennent les nouveaux lieux apaisés de représentation de la mémoire nationale.

 

 

Le fonds de la Compagnie du chemin de fer du Nord conservé par les Archives nationales du monde du travail contient deux dossiers d’archives sur la gestion des trains de pèlerinage aux régions dévastées.

Ces documents sont complétés par quatre affiches publicitaires acquises par la Direction des Archives de France sur le même thème.

 

 

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Pour aller plus loin :

 

BOUTIN Ludovic. Chemin de fer & tourisme. La Compagnie du chemin de fer du Nord, 1846-1937. Mémoire de maîtrise en histoire contemporaine sous la direction d’Emmanuel Chadeau, université Charles de Gaulle-Lille 3, juin 1997.

PIERNAS Gersende, "Les pèlerinages dans les régions dévastées du nord de la France organisés par la Compagnie du chemin de fer du Nord au lendemain de la Première Guerre mondiale", In Situ [En ligne], 2014.

VANEHUIN Morgane, Promenons-nous aux champs de bataille. Les parcours touristiques aux régions dévastées organisés par la Compagnie du chemin de fer du Nord entre 1919 et 1920. Travail de recherche dans le cadre du Master Archivistique et monde du travail, sous la direction de Matthieu de Oliveira, université de Lille, juin 2020.

 

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