Institutrices et instituteurs au travail durant la « drôle de guerre »
Notre thématique de l’année 2023 sera celle de la grande exposition « Travailler en temps de guerre » présentée du 26 mai 2023 au 4 mai 2024 aux Archives nationales du monde du travail.
Comment les conflits armés changent-ils les modes d’organisation du travail ? Quels sont les impacts sur les vies, les corps et les esprits des travailleurs ? Tout au long de l’année, nos dossiers ou documents du mois prolongeront l’exposition en interrogeant les liens entre guerre et travail.
Entre septembre 1939, date de la déclaration de guerre à l’Allemagne, et l’offensive de mai 1940, s’ouvre une période qualifiée par les contemporains de « drôle de guerre ». La France vit dans les préparatifs de l’invasion. L’évacuation des populations civiles des hypothétiques zones de combat et des grands centres urbains menacés par les bombardements devient une préoccupation pour le gouvernement français. Il s’agit bien entendu de les mettre à l’abri, mais également d’éviter l’encombrement des routes et des gares lorsque les affrontements commenceront.
Si on compte avant tout sur les familles pour procéder à l’évacuation et héberger leurs enfants, nombre de parents n’ont d’autre choix que de confier leurs enfants à l’administration. Tirant leçon des déplacements de population de la dernière guerre, l’État a envisagé la constitution de véritables camps de réfugiés, incluant dans leur conception les questions d’éducation, de santé et de loisir. Dans les faits, l’hébergement sera plus généralement assuré chez des habitants bénévoles ou dans des équipements municipaux réquisitionnés.
Dans ces préparatifs et dans l’exécution de ces évacuations, le ministère de l’Éducation nationale joue un rôle actif. Outre le recensement des enfants confiés à l’administration, ce sont des instituteurs qui vont concourir au convoiement, à l’accompagnement et à l’éducation de ces enfants pendant leur période d’exil.
Après une première évacuation opérée à la fin de l’été 1939, et alors que la crainte d’une invasion pour le printemps 1940 grandit, une seconde évacuation est prévue. Dans ce contexte, le Syndicat national des instituteurs a constitué un dossier documentaire pour rappeler à l’administration les craintes exprimées suite à l’expérience de l’été précédent. Deux témoignages d’enseignants, très contrastés, y sont conservés.
Le premier témoignage est un rapport écrit par une institutrice, un instituteur et une suppléante à leur inspecteur, dans un cahier d’écolier. Sur demande de la permanence d’entraide sociale du 5e arrondissement de Paris, ils sont missionnés pour accompagner un convoi de 51 enfants, âgés de deux à seize ans, vers le Calvados. Le rapport apparait très critique. L’ordre de transport n’est valable que jusqu’à Caen alors que le centre d’hébergement est à Courseulles-sur-Mer. Personne n’est venu les accueillir et le centre n’a pas été préparé pour leur arrivée. Les vêtements manquent et les conditions sanitaires sont inquiétantes. Aucune visite médicale n’a précédé l’évacuation, les dossiers médicaux des enfants sont très partiels et surtout aucun personnel médical n’a été dépêché. Enfin, c’est au frais des enseignants que le matériel scolaire est transféré de Paris à Courseulles-sur-Mer.
Le second témoignage est publié dans le trimestriel La Grande revue de décembre 1939. L’expérience relatée, sous la forme d’un récit, y est plus heureuse. Ils sont six cents enfants à quitter Paris pour une destination non précisée, la veille du déclenchement des hostilités. L’équipe accompagnante y est plus nombreuse et mieux organisée. Elle se dispersera dans plusieurs villages d’accueil une fois arrivée dans le Centre. Passées les quelques larmes du départ et le stress inévitable du voyage, c’est un esprit « colonie de vacances » que l’autrice semble vouloir transmettre. Elle livre ainsi un témoignage touchant de la découverte des campagnes françaises et de ses curiosités aux yeux des jeunes parisiens, et sur l’accueil bienveillant du village et de ses habitants.
Au regard de ces témoignages, on comprend donc les conditions de travail et le statut très singuliers des instituteurs durant cette rentrée des classes de 1939. Ils y sont animateurs, infirmiers, assistants sociaux et cuisiniers. D’autres sont également devenus soldats.
Sources :
Syndicat national des instituteurs (SNI) : instituteurs dans la guerre 1939-1940. ANMT 2011 14 239.
Bibliographie :
Caron (Didier), Caron (Raymond), Formation et parcours personnel d’un instituteur public pendant la Seconde guerre mondiale : entretien avec Raymond Caron, Le Télémaque 2005/2, p. 111-130.
Lee Downs (Laura), Les évacuations d’enfants en France et en Grande-Bretagne (1939-1940), Annales. Histoire, sciences sociales 2011/2, p. 413-448.
Allary (Eric), L’exode, Place des éditeurs, 2013.
Delmas-Decreus (Denise), Journal de guerre d’une institutrice du Nord, 1939-1945, Presse universitaire du Septentrion, 2015
Mourier (Guillaume), Les instituteurs de la Manche à l’épreuve de la Seconde guerre mondiale (1939-1940, Annales de Normandie 2020/1, p. 91-130.