Couverture d’un catalogue de La Redoute « La Redoute à Roubaix, un grand magasin dans une grande usine », 1962. ANMT 65 AQ H422, documentation imprimée sur les sociétés

La Redoute, les 3 Suisses, Damart et Phildar : vie et survie de marques roubaisiennes

2022 - Textiles du monde

En 2022, les Archives nationales du monde du travail rejoignent la programmation de la ville de Roubaix autour de la thématique « Textiles du monde ».
Si l’industrie textile a laissé son empreinte sur ses grandes cités françaises, elle a aussi marqué la vie de ses travailleurs et travailleuses, fait prospérer des dynasties familiales ou encore permis l’émergence de marques de vêtements restées célèbres.
Chaque mois, les ANMT vous proposent un voyage dans le temps et dans l’univers textile, pour mieux comprendre nos mondes d’aujourd’hui !

 

Couverture d’un catalogue de La Redoute « La Redoute à Roubaix, un grand magasin dans une grande usine », 1962.

 

XIXe et XXe siècles : la ville de Roubaix et sa mono-industrie textile connaissent une prospérité retentissante. Le contexte est propice au succès d’entreprises dont les noms sont restés célèbres : La Redoute, Phildar, Damart ou les 3 Suisses. Devenues des marques iconiques de la vente par correspondance et/ou du prêt-à-porter, elles habillent encore aujourd’hui les Françaises et les Français et s’exportent au-delà des frontières.

 

Des entreprises familiales …

Les aventures commerciales de ces quatre marques sont indissociables des familles qui les ont créées et longtemps gérées.
Si dès 1837, la famille Pollet crée la première filature de ce qui deviendra l’entreprise La Redoute, les autres marques ne naissent que dans la première moitié du XXe siècle. 

Vue d’un magasin d’expédition de colis postaux d’une filature La Redoute : carte postale, [vers 1925].


Xavier Toulemonde fonde Les 3 Suisses en 1932. Phildar est créée en 1943 par Gérard Mulliez. Et en 1947, les frères Despature reprennent une entreprise qu’ils renomment Damart.

Couverture du magazine de communication interne de l’entreprise Damart où la famille Despature célèbre les 20 ans de l’entreprise, 1973.

 

Au tournant du XXIe siècle, les modèles familiaux de La Redoute et des 3 Suisses ne résisteront pas à la mondialisation. Ainsi en 1994, La Redoute intègre le groupe Pinault-Printemps-Redoute (qui deviendra Kering puis Galeries Lafayette en 2017). La marque Les 3 Suisses quant à elle est reprise par le groupe allemand Otto, puis par Domoti et enfin par le groupe de commerce en ligne Shopinvest en 2018. De son côté, Damart reste détenue par les descendants des Despature. Et l’association familiale Mulliez est toujours actionnaire de l’entreprise Phildar.

    

… et locales

Le dénominateur commun entre La Redoute, Damart et les 3 Suisses ? Leur ancrage roubaisien. Toutes ont débuté leur activité dans la ville et c’est sa toponymie qui a inspiré leurs noms : l’ancienne rue de la redoute pour l’entreprise du même nom et celle de Dammartin raccourcie en Damart. De nos jours, le groupe Damartex qui rassemble une dizaine de marques (dont Damart) siège toujours à Roubaix, à quelques pas de la rue Dammartin.

Siège des services administratifs de l’entreprise Damart : photographie de la façade rue Dammartin, sans date.

 

Quant aux 3 Suisses, la légende veut que son fondateur ait nommé son entreprise en l’honneur de trois jeunes roubaisiennes, filles d’un certain M. Suis.
Phildar -pour sa part- est née à Poitiers mais est délocalisée à Roubaix dans les années 1960 lorsque les Mulliez y créent Auchan.

Vue aérienne du toit de l’usine Phildar et de la ville de Roubaix : photographie, sans date.

 

Des modèles commerciaux innovants

La Redoute, Phildar ou les 3 Suisses sont à l’origine des entreprises à mono-produit (la laine à tricoter) et mono-cible (les femmes au foyer tricoteuses).

Couvertures et quatre doubles pages d’un guide de tricot des 3 Suisses, 1968.

 

Damart de son côté se démarque avec le Thermolactyl, une fibre protégeant contre le froid et l'humidité. Cette invention, popularisée par le fameux slogan « Froid, moi ? Jamais ! » tombe à pic au milieu des redoutables hivers des années 1950.

Couverture d’un catalogue de marque Damart, sans date.

 

Les ventes se portent si bien que l’entreprise lance son premier catalogue de vente par correspondance en 1954, imitant son concurrent La Redoute qui avait lancé le sien dès 1928. Phildar pour sa part croit plutôt en la vente physique et développe son réseau de magasin jusqu’à devenir leader européen du fil à tricoter dans les années 1970.

Un magasin franchisé Phildar : photographie, date et lieu inconnus.

 

Suivre les mutations d’une société en mouvements

Les années 1960 bouleversent en profondeur la société française : les femmes accèdent massivement à l’emploi et la grande distribution modifie les habitudes de consommation. Il convient donc de se diversifier, tant en termes d’offres que de cibles. La laine à tricoter cède le pas devant le prêt-à-porter. D’abord uniquement féminin mais, dès 1965, Phildar ajoute des pages « Hommes » et « Enfants » dans ses catalogues.

Une femme prend la pose devant un présentoir de vêtements Phildar : photographie, [années 1970-1980].


La Redoute élargit sa gamme de produits aux bas, chaussettes et même au linge de maison. Les 3 Suisses proposent même des services de table. Et Damart cherche à séduire une clientèle sportive.

Couverture d’un catalogue de La Redoute, 1966.

 

Les succès des années 1960 laissent entrevoir un avenir radieux et les quatre entreprises cherchent à investir à l’étranger. La Redoute s’implante en Belgique avec l’objectif d’atteindre à terme le marché des Pays-Bas. Phildar opte pour la même stratégie avec quelques 400 franchises en Belgique dans les années 1970. Damart effectue également des ventes par correspondance en Belgique et au Luxembourg, et mène quelques expériences en Allemagne et en Espagne. Enfin, les 3 Suisses lancent des antennes en Belgique, en Allemagne et en Autriche.

Collection d’affiches promotionnelles pour Phildar en langues française, allemande, espagnole et néerlandaise : photographie, [années 1960].

 

Se réinventer face aux crises

La crise du secteur textile n’épargne aucune marque de prêt-à-porter. Amorcée lors du premier choc pétrolier de 1973, c’est une crise qui dure. Pour ne pas disparaître, les entreprises engagent des processus de réduction des coûts : licenciements massifs, fermetures de magasins, cessation d’activités peu rentables, réduction des collections, etc. Phildar ferme son usine roubaisienne en 1990, puis recentre son activité sur l’offre de fil à tricoter et de laine au détriment du prêt-à-porter. En 2020, elle est de nouveau amenée à fermer 85 magasins et est placée sous procédure de sauvegarde judiciaire. De même, en 2006, Damart ferme sa dernière unité de production roubaisienne pour la délocaliser en Tunisie. Du côté des 3 Suisses, on cherche à percer sur le marché asiatique.
 

Cinq couvertures du catalogue des 3 Suisses pour la Chine, 2008-2009.

 

Pour ne pas disparaître, il faut continuer à répondre aux attentes évolutives de la société. Longtemps, les marques surinvestissent la logistique : La Redoute prépare ses commandes en deux heures tandis que Les 3 Suisses les expédient le jour-même.

Publicité de la marque 3 Suisses : plaquette, 1990.

 

Les conséquences sur le personnel en sont délétères. A titre d’exemple, les différentes sections syndicales de La Redoute dénoncent des méthodes managériales de quête de flexibilité précarisant les employés et une culture d’entreprise basée sur la performance à tout prix.
 

Cortège de grévistes de La Redoute : photographie, mars 1995.

 

Dès 2000, la révolution numérique se fait sentir. Damart investit internet et y réalise 13% de ses ventes. En 2014, les 3 Suisses annoncent se recentrer sur leurs activités de commerce en ligne. En 2016, La Redoute observe que 30 % de ses ventes sont effectuées via les smartphones de ses clients.

 

 

Depuis quelques années, on observe chez ces marques une tendance aux pratiques plus responsables : produire en France, de manière réduite et plus durable. Ainsi, La Redoute a lancé en 2021 un projet de revente de produits de seconde main. L’effet pandémie (covid-19) et l’essor de la vente par correspondance expliquent probablement aussi en grande partie les chiffres florissants affichés par les marques d’origine roubaisienne : Damart a vu son résultat net bondir de 75 % sur son exercice 2020-2021 et Phildar a connu de nouveau des bénéfices en 2021 et anticipe un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros en 2025 contre 30 millions en 2021.

 

La collection des pièces isolées entrées par voie extraordinaire aux ANMT est classée par typologies : pièces isolées sur supports papiers, iconographiques ou encore audiovisuels.

Ancien adjoint de direction du secteur manutention chez Damart, les archives professionnelles de Francis Tucry se composent de catalogues de la marque, de journaux internes et de tracts syndicaux.

Délégués syndicaux chez Les Fils de Louis Mulliez (Phildar) et militants associatifs, Marie-Paule et Bernard Moreau ont fait don de leurs archives professionnelles en 2000.

Les archives de l’entreprise de vente par correspondance « Trois Suisses » se composent exclusivement des catalogues de l’entreprise et de marques concurrentes.

La collection de documentation imprimée sur les sociétés (partie 1, 2 et 3) rassemble des documents publiés par les entreprises françaises ou agissant en France entre 1850 et 1980.

Les archives de Maria Pi documentent ses activités en tant qu'employée à La Redoute et syndicaliste à la Confédération française démocratique du travail-Vente par correspondance (CFDT-VPC), et à Solidaires, Unitaires, Démocratiques-Vente par correspondance (SUD-VPC).

Les témoignages du projet Mémoire des entreprises au temps de la Covid-19 ont été réalisés auprès de dirigeants d’entreprises françaises en 2020 et 2021.

 

 

 

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