Plan d’évacuation pour la commune de Béthune [1915]. ANMT 1994 26 211, Compagnie des mines de Béthune.

Or, bois et hommes : nerfs de la guerre ? Une compagnie minière en temps de guerre - épisode 2

2023 - Travailler en temps de guerre

Notre thématique de l’année 2023 sera celle de la grande exposition « Travailler en temps de guerre » présentée du 26 mai 2023 au 4 mai 2024 aux Archives nationales du monde du travail.
Comment les conflits armés changent-ils les modes d’organisation du travail ? Quels sont les impacts sur les vies, les corps et les esprits des travailleurs ? Tout au long de l’année, nos dossiers ou documents du mois prolongeront l’exposition en interrogeant les liens entre guerre et travail.

 

Plan d’évacuation pour la commune de Béthune [1915].

Pendant la première guerre mondiale, la compagnie des mines de Béthune est confrontée à l’avancée du front. Elle est rapidement envahie et privée de 2 de ses 12 puits. Pourtant, elle continue à fonctionner et à alimenter l’effort de guerre.

 

L’or caché de la compagnie

Dès la mobilisation générale, la compagnie est sur le pied de guerre. Certes elle n’hésite pas à se manifester pour aider le Service de santé des armées, à l’initiative de Louis Mercier, son directeur, en contribuant à la création de l’hôpital auxiliaire n°47 en son sein, mais surtout elle se prépare à l’éventuelle arrivée de l’Ennemi.

Deux pages d’un rapport sur le voyage à Paris d’employés de la Compagnie pour y déposer de l’argent à la banque, 1916.

 

Ainsi, dès le 24 août 1914 elle met en place des mesures pour protéger sa caisse de réserve, soit 826 000 francs.  L’ or est transféré de Bully à Paris dans 8 sacoches à bord d’une automobile pour être déposé dans un coffre au Crédit industriel et commercial, 20 000 francs sont versés à la Caisse centrale pour l’anticipation de la quinzaine des salaires et les 6 000 francs restants en billets et pièces d’or sont cachés dans différentes fosses. Chef de la comptabilité, secrétaires, chauffeurs et quelques porions s’activent en toute discrétion et dans le secret.

Plan de coupe de la veine « Henriette », fosse 10 bis, 1915.

 

Correspondance, rapports sur les mouvements d’argent, extrait du procès-verbal du conseil et plans subsistent dans les archives de la Compagnie des mines de Béthune. Ils témoignent surtout des sommes dissimulées au fond, notamment la partie cachée dans la fosse 10 bis, à la veine « Henriette » au niveau 242. Certes la cachette est bonne, ingénieuse et régulièrement surveillée, mais difficile d’accès en cas de panne de la machine d’extraction et, malgré les précautions prises (sacs, caisses pour contenir, muret et planches de bois pour dissimuler), les billets de banque prennent l’humidité et se décomposent ! Quant à la cachette de la fosse n°10, certainement similaire, elle est découverte entre le 17 et le 18 août 1916 et 25 000 francs y ont été volés !

Détail d’un rapport sur le retrait d’un « dépôt fait au fond [de la mine] en septembre 1914 » : croquis de la veine et de l’emplacement de la cachette, 1915.


Parallèlement, face au risque d’invasion de la capitale, la direction décide de rapatrier le contenu du coffre de Paris en février 1916. Le retour s’effectue par Rouen et se révèle périlleux avec une crevaison, mais les 8 sacoches arrivent à bon port dans le coffre-fort de la compagnie en présence du directeur Louis Mercier, et ce après deux ans d’un exil parisien préventif.

 

Le bois : quand mine et tranchées se font concurrence

Le bois reste un enjeu stratégique, tant dans le monde du travail que pour le fait militaire. Les hommes, les animaux mais aussi les forêts françaises et étrangères sont durement mis à contribution dans ce conflit d’un genre nouveau qu’est la première guerre mondiale.

Tous les matériaux et matériels convergent vers les besoins militaires et le front dès la mobilisation, par le biais des réquisitions. La direction des mines du ministère de l’Armement et les arrondissements minéralogiques du ministère des Travaux publics les gèrent par arrêtés et circulaires. Les commandes et approvisionnements du secteur extractif sont donc impactés. Chaux, ciments, pneus, tubes, métaux, nitroglycérine, etc. sont certes manquants, néanmoins tout est fait par les autorités pour approvisionner au mieux les compagnies minières. Mobilisées économiquement d’un côté, elles doivent adapter leurs activités en conséquence de l’autre. Ce juste équilibre est aussi crucial pour le bois, nécessaire notamment à l’étayage des galeries minières et l’entretien de leur réseau ferroviaire au fond et au jour.

Lettre du ministère des Travaux publics au directeur des mines concernant la livraison de métaux, 1917.

 

D’un côté, les centres du bois (Paris, Mans, Orléans, Besançon, Nantes, Clermont-Ferrand, Grenoble, Montpellier, Bordeaux), approvisionnant les armées (et relevant jadis du Génie militaire), sont placés sous l’autorité de l’inspection générale du Service des bois du ministère de l’Armement, pour plus d’autonomie et d’indépendance. D’un autre côté, la Commission militaire des mines et la Commission des métaux et des bois du ministère de la Guerre veillent à ajuster les flux ferroviaires vers les compagnies minières, de concert avec le Comité central des houillères de France et sa commission chargée de l’étude de l’approvisionnement. En contact avec les compagnies minières (dont celle de Béthune), ces deux commissions leur demandent s’approvisionner en quantités limitées de bois dans des forêts françaises de plus en plus éloignées du Nord et du front. En effet, les forêts proches du front, dans lesquelles les compagnies se fournissaient d’ordinaire, sont désormais réservées aux besoins des troupes françaises et alliées qui y sont déployées et engagées. Par répercussion, certaines zones d’approvisionnement habituelles des compagnies du Centre et du Midi, comme celle des Landes, sont ainsi laissées au profit du bassin du Nord-Pas-de-Calais. Des importations de bois étrangers en provenance de Finlande sont aussi envisagées.

Modèle de tableau sur le ravitaillement en bois, 1917.

 

Concernant la main-d’œuvre forestière, des bûcherons déjà affectés aux compagnies par le ministère de la Guerre sont également mis provisoirement à disposition du ministère des Travaux publics pour ces coupes lointaines.

    

Les mineurs en exil et l’exploitation de leur savoir-faire

L’occupation du Nord de la France et la mobilisation économique engendrent la réaffectation de certains ouvriers mineurs, accompagnés de leur famille, dans des compagnies non envahies du bassin houiller du Nord et du Pas-de-Calais et dans ceux du Centre et du Midi, loin du front. Ces détachements provisoires et très encadrés s’effectuent par chemin de fer. Ils permettent l’insertion rapide dans ces exploitations d’un personnel qualifié, bien que les pratiques et les caractéristiques de chaque compagnie ou bassin nécessitent un ajustement nécessaire.

Permis de circuler attribué à un ingénieur des mines, son épouse et une accompagnante, 1915.

 

Le savoir-faire des mineurs en boisement et étayage est également mis à contribution au front pour la construction des tranchées, mais de façon moins connue, également à l’arrière du front : il s’agit d’aider la Compagnie du chemin de fer du Nord dans les travaux de déviation des voies ferrées utilisées pour le déploiement et l’approvisionnement des armées françaises et alliées, ou pour la reconstruction des tronçons du réseau ferroviaire reconquis. En effet, réseau Nord est pleinement impacté par l’Occupation : une partie de son personnel est demeuré derrière la ligne de front, certains agents ont été faits prisonniers ou déportés en Allemagne. Le renfort du personnel minier, très compétent, y est donc bienvenu.

Instruction concernant l’affectation d’ouvriers des mines du Pas-de-Calais à des travaux de chemin de fer dans la Somme, 1918.

 

 Avec ces deux cas, c’est toute la question de la formation de la main-d’œuvre en temps de guerre qui apparaît au sein d’un secteur minier. Celui-ci, encore aux mains de compagnies privées, n’a pas de pratiques ni d’infrastructures uniformisées en la matière.

 

Pour aller plus loin :

Compagnie des mines de Béthune : mesures de police consécutives à l’état de siège (1914-1925). ANMT 1994 26 211.

Compagnie des mines de Béthune : mouvement de la réserve pendant la guerre (1914-1916). ANMT 1994 26 212.

Compagnie des mines de Béthune : marchandises et matériel (1914-1921). ANMT 1994 26 215.

 

Gersende Piernas, « Les mains-d’œuvre dans les entreprises du Nord de la France pendant la Première Guerre mondiale : présentation des sources conservées aux Archives du monde du travail », dans Laure Machu, Isabelle Lespinet-Moret et Vincent Viet (dir.), 1914-1918. Mains-d’œuvre en guerre, Paris, La Documentation française, 2018, p. 320-327, 359-371. [ANMT H11639]

Gersende Piernas, « La formation professionnelle dans les fonds d’entreprises aux Archives nationales du monde du travail : approche archivistique de l’empreinte de ses acteurs (XIXe et XXIe siècles). », Cahiers d’histoire du Cnam, 2018, vol. 9-10, « Dossier coordonné par Clair Juillet et Michaël Llopart, Former la main d’œuvre industrielle en France. Acteurs, contenus et territoires (fin XIXe et XXe siècles) - II/II », p. 126-149. [ANMT H11639]

Gersende Piernas, « L’hôpital auxiliaire n°47 de la Compagnie des mines de Béthune pendant la Première Guerre mondiale : archives et histoire », dans Yannick Marec (dir.), Hôpitaux et médecine en guerre. De la création du service de santé militaire aux conflits contemporains, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2019, p. 127-143. [ANMT H11804]

Gersende Piernas, « L’empreinte archivistique des deux Guerres mondiales dans les fonds des anciennes compagnies minières conservés aux Archives nationales du monde du travail », dans Ludovic Laloux, Romane Monnier et Raphaël Chauvancy, Guerre & paix – Enjeux géostratégiques, diplomatie et opérations militaires, Huningue, Presses universitaires Rhin & Danube, 2022, p. 107-127.

Gersende Piernas, « Les pérégrinations retrouvées des agents de la Compagnie du chemin de fer du Nord en zone occupée pendant la Grande Guerre », dans Ludovic Laloux et Romane Monnier, Civils au cœur des conflits armés, Huningue, Presses universitaires Rhin & Danube, 2023, p. 115-145. (à paraître)

 

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