Quand les jeunes chômeurs prennent la parole

2025 - Travail et pauvreté

Depuis juin 2025 et jusqu’en mai 2026, les ANMT présentent leur nouvelle exposition Vivre ou survivre. Travail et pauvreté aux 19e et 20e siècles. Le travail est-il un bouclier face à la pauvreté ? Comment les travailleurs se sont-ils organisés pour obtenir de meilleures conditions de travail, de vie, de logement ? Quels sont les différents acteurs qui ont tenté de pallier les situations de misère des travailleurs et des chômeurs ? Retrouvez chaque mois un nouveau dossier consacré à ces thématiques sur notre site Internet.

 

Dessin faisant référence à l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui fait du travail un droit pour tous, [années 1970].

 

Au début des années 1970, plusieurs bouleversements entraînent une grave crise économique dans les pays industrialisés. La dévaluation du dollar en 1971, suivie de la forte hausse des prix du pétrole à partir de 1973 et d’une nouvelle dévaluation du dollar, entrainent une inflation importante. L’évolution technologique rapide d’après-guerre commence à produire ses effets, les machines remplaçant petit à petit les ouvriers qualifiés sur les chaînes de fabrication. Le chômage s’abat alors durement sur le monde ouvrier.
Les jeunes qui entrent dans le monde du travail se heurtent à ces difficultés que n’avaient pas connues leurs parents pendant les Trente Glorieuses. Directement concernée par le sort des jeunes travailleurs ouvriers et leurs conditions de vie, la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) souhaite interpeller l’opinion publique sur la situation des jeunes actifs confrontés au chômage, à la précarité et au regard accusateur de la société.
Dans son journal Jeunesse Ouvrière, la JOC publie des témoignages bruts de ces jeunes. Quel regard portent-ils sur les causes et conséquences du manque d’emploi ? Comment jugent-ils les aides apportées par un État encore peu habitué à gérer le chômage de masse ?

 

 

L’inadaptation de la formation et l’avidité du capitalisme

 

Témoignage de « Moineau », [années 1970].

 

 

 

 

 

 

Dans les différents témoignages, l’idée que l’école et les différentes formations professionnelles sont inutiles est très présente. Ainsi, les diplômés ne seraient pas embauchés car ils n’ont pas assez d’expérience, ou alors ils trouveraient du travail dans une autre branche que la leur.

 

 

 

 

 

 

 

Plus que l’inutilité mentionnée par les témoins, on constate en réalité d’un décalage entre un marché de l’emploi qui se transforme et nécessite de nouvelles connaissances et un système éducatif qui ne s’est pas encore adapté au monde professionnel.
Plusieurs autres témoins pointent également le fonctionnement intrinsèque du capitalisme comme cause première du chômage. Cette question de la marchandisation de la force de travail, directement inspirée par la représentation marxiste et communiste du système capitaliste, est très présente dans l’idée que ces jeunes se font de l’organisation du monde du travail. Ainsi, le patronat aurait intérêt à maintenir un niveau de chômage relativement élevé pour exercer une pression sur les travailleurs. Cela lui permettrait de les payer moins et donc d’obtenir une plus-value importante sur la production.

 

Dessin représentant des patrons alimentant la « machine à profits » avec des jeunes sortis de l’école, [années 1970], ANMT 2003 3 275, Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOCF) de Roubaix-Tourcoing

 

 

Témoignage de Fatima, [années 1970].

 

 

 

 

 

 

Sans tomber dans une systématisation de ce principe, plusieurs témoins constatent que leur employeur embauche des apprentis pour occuper des postes de titulaires, car ils reviennent moins cher. D’autres sont également contraints de faire des heures supplémentaires, entraînant des journées à rallonge, au lieu d’être aidés par de nouveaux collègues.

 

 

 

 

 

 

 

 

Des fainéants  à la charge de leurs parents ?

 

Témoignage de Thérèse, 17 ans, [années 1970].

 

 

 

 


Les témoignages récoltés par la JOC donnent la parole à des personnes qui n’ont plus l’habitude d’être écoutées. Les qualifiant de « Parasites » ou « paresseux », la société leur renvoie une image d’eux-mêmes douloureuse et dépréciée. La plupart de ces jeunes parlent de cette dégradation de l’estime de soi, qui amène à « faire des conneries ». L’alcoolisme, la drogue, la délinquance sont avoués, et apparaissent comme le résultat du découragement, d’une perte de sens et d’espoir dans l’avenir.

 

 

 

 

 

 

 

Ce découragement vient également des conditions de travail qui leur sont proposées. La peur du chômage amène les travailleurs à accepter de remplir des tâches qui ne font normalement pas partie de leur poste ou de travailler plus tard, plus longtemps, pour des salaires moins élevés. Tous craignent d’être remplacés et parlent de la même petite phrase qu’ils entendent s’ils font mine de ne pas accepter ces conditions : « Alors tu prends la porte, il y en a d’autres qui attendent de trouver du travail ».

 

Témoignage d’Antonia, [années 1970].

 

Le chômage a également des conséquences sur la vie familiale. Dans le monde ouvrier, des enfants en âge de travailler qui ne ramènent pas de salaire sont très mal vus. D’après les témoignages recueillis, les jeunes chômeurs sont considérés comme un poids pour leur famille : « Je mange gratis », « Je ne rapporte pas ma part à la maison », « Je me sens à charge ».

 

Témoignage de Marie-Odile, 19 ans, [années 1970].

 

 

Comme le racontent Thérèse et Marie-Odile, le cercle familial se fait l’écho de la perception du chômage qu’a la société. La génération des parents, qui a connu le plein emploi, ne comprend pas la difficulté qu’éprouvent ses enfants à trouver ou garder un travail. Cette différence de vécu entre parents et enfants creuse un fossé entre les deux générations.

 

 

La solidarité pour se faire entendre.

Témoignage d’Ali, [années 1970].

 

 

 

 


Les jeunes chômeurs ou précaires ne restent pas inactifs face à cette situation compliquée.
Beaucoup évoquent l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE), créée en 1967 pour accompagner les demandeurs d’emploi. Cependant, ils sont tous très critiques à son égard. En effet, en cette période où les employeurs embauchent peu, l’Agence peine à proposer des offres aux personnes qui se tournent vers elle. Et lorsqu’une offre paraît, elle est souvent proposée à un grand nombre de chômeurs. Parfois, même, lorsqu’ils se présentent, la place a déjà été pourvue.

 

 

 

 

 

 

 

Lettre organisant une rencontre pour des jeunes chômeurs adhérents à la JOC, [années 1970].

 

 

 

 

 

Alors, les jeunes chômeurs s’organisent entre eux. Ils forment des groupes solidaires qui se réunissent régulièrement pour discuter de leurs difficultés, des offres d’emploi dont ils ont entendu parler. La JOC est une des associations qui permet ces rassemblements. Ils leur sont essentiels pour ne pas se décourager, ne pas se sentir diminué ou seul dans la difficulté.

 

 

 

 

 

 

 

C’est grâce à cette solidarité entre jeunes chômeurs que certains arrivent à retrouver du travail, mais aussi que des initiatives et mobilisation se mettent en place. Ainsi, une pétition demandant du travail est lancée dans les années 1970.

 

Pétition de jeunes chômeurs pour dénoncer et changer leur situation, [années 1970].

 

Il est même question d’organiser une manifestation pour rappeler aux pouvoirs publics leur obligation vis-à-vis du droit au travail de chacun, mais aussi tout simplement pour se montrer et exister dans cette société qui les mets au ban tout en ne leur permettant pas de s’y réinsérer.



Quels que soient les sujets évoqués dans les témoignages, tous évoquent cette envie de s’en sortir, de trouver enfin un travail et de pouvoir à nouveau faire partie de la société en menant simplement leur vie.

Résumé des témoignages et proposition d’action de la JOC, [années 1970].

 

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