Jacques Couëlle et ses "maisons-paysage"
Jacques Couëlle et ses "maisons-paysage"
Cette exposition propose de parcourir la dernière partie de l’œuvre de l'architecte Jacques Couëlle : l'élaboration de ses "maisons-paysage". Les documents et les maquettes qui y sont présentés font partie d'un ensemble donné en 1999 par la veuve de l'architecte, Véronique Couëlle.
Cette exposition vise à retracer le travail de conception élaboré par l'architecte à la fois dans son atelier et sur les chantiers.
"La maison-paysage libère l'espace de tout ce qui l'encombre ; elle peut être réalisée même en grande densité, sans altérer la NATURE qui reste SOUVERAINE. La maison-paysage étant en partie recouverte et parée de végétation locale, par mimétisme, s'incorpore avec son environnement".
Parler de Jacques Couëlle, c'est parler d'un monde qui lui appartient. Un monde de féerie et de rêve dans lequel il est né. Un monde de luxe et de beauté dans lequel il a évolué et exercé en architecte des milliardaires.
Un monde de création et d'harmonie retrouvée, où nature et architecture ne font plus qu'un. Sa production, qui a traversé le XXe siècle, est toujours restée en marge du courant moderne que prônait l'architecte Le Corbusier. Jacques Couëlle, le chasseur d'angles droits et de surfaces lisses, a fait naître de ses mains sa modernité en inventant les "maisons-paysage".
Ce sont vingt années d'études passées au Centre de recherches des structures naturelles (CRSN), qu'il fonda à Paris en 1945, qui lui ont permis de concrétiser cette « nouvelle forme d'esthétique raisonnée et originale » (extrait du curriculum vitae de Jacques Couëlle). Ses diverses recherches ont abouti à de nombreux dépôts de brevets d'inventions tels la fusée céramique (procédé de construction), le béton cellulaire, l'Aérobloc, les charpentes à torsion ou la cellule technique.
Les études menées sur l'habitat de l'instinct, les phénomènes naturels, l'architecture des végétaux et des corps, ce qu'il appelait la bionique, sont à l'origine de ces étranges maisons qui s'effacent, se confondent et s'enterrent, pour une harmonie parfaite avec la nature souveraine. Là où d'autre tels que F.L. Wright et R. Neutra s'efforcent de faire pénétrer le paysage dans la maison, lui, inverse les rôles. C'est la maison qui pénètre le paysage.
La fusée céramique
Jacques Couëlle invente le principe de la fusée céramique au sein du Centre de recherches des structures naturelles dans les années 1940.
La fusée céramique est un élément en terre cuite. Les fusées s'emboitent les unes dans les autres à la manière des tiges de bambou ou de la prèle.
Ce principe est utilisé pour construire des voûtes : sur le coffrage enduit d'une première couche de ciment sont alignées des rangées de fusées céramiques renforcées par des tiges métalliques qui permettent d'armer la structure. Le tout est ensuite recouvert d'une deuxième couche de ciment.
Ce principe à l'époque plus rapide que le procédé du béton permettait de réaliser en peu de temps des voûtes de grande portée.
Au début des années soixante, Jacques Couëlle voit se concrétiser son rêve dans le village de Castellaras (Alpes-Maritime) où il imagine un ensemble de maisons individuelles répondant toutes aux mêmes règles.
Jardins et terrasses se confondent ; les formes organiques issues du déplacement du corps dans l'espace confèrent à la fois à l'intérieur et à l'extérieur une grande intimité ; les ouvertures placées à des endroits stratégiques offrent des jeux de lumière et des cadrages sur la nature changeante. L'architecte-sculpteur naît : de ses mains sont sorties les formes caverneuses et délicates d'une harmonie parfaite avec Dame Nature.
La complexité formelle de ces habitations troglodytiques artificielles a demandé à l'architecte l'élaboration d'une technique de travail particulière. Là où pour certains la création passe par la plume et le dessin, pour Jacques Couëlle, les formes jaillissent de l'élaboration d'une maquette.
Un socle en bois, une bobine de fils de fer, une poignée de clous, quelques tiges métalliques, quelques baguettes d'étain, un chalumeau, un sac de plâtre, un peu d'eau, un couteau. Il n'en faut pas plus pour que la création s'installe. Debout devant sa table de travail, il trace sur le socle une trame qui lui sert de base pour le dessin du plan sur le papier. Il assemble ensuite soigneusement les tiges métalliques pour former une armature, qui plus tard sera reproduite sur le chantier. Quand cela lui semble nécessaire, il façonne au couteau l'enveloppe de plâtre qui formera le couvert de cette étrange carapace.
Dans son atelier, l'architecte est sculpteur ; sur le site, il est maquettiste d'un travail en grandeur nature. Une fois la maquette de l'armature déposée sur le chantier, les ouvriers reproduisent à l'identique ce qu'ils ont sous les yeux, mais en vingt fois plus grand.
Ils répètent, armés de réglets et de piges, les mêmes gestes que le sculpteur devant son œuvre. L'impressionnant squelette est monté, puis soudé, tandis que l'architecte vérifie sans cesse que les fenêtres cadrent bien le paysage. L'armature est ensuite recouverte d'un grillage et de plusieurs couches de béton projeté tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. L'architecte-sculpteur ajuste sa création sur le site et remodèle à la main la courbure d'une voûte ou le galbe d'une façade.
Cette manière de travailler ressemblait bien à son créateur, curieux et un peu touche à tout. Rattaché au mouvement « architecture-sculpture », Jacques Couëlle se disait écologue ou géobiologue plus qu'il ne prétendait être architecte ou encore sculpteur. Par chance peu d'architectes ont suivi sa trace. Le trésor qu'il a laissé lui est personnel et personne ne peut l'imiter. Aujourd'hui, perplexe devant son œuvre, il faut tout de même se l'avouer : tout comme nous, par simple curiosité vous ne refuseriez sûrement pas de passer une nuit dans une de ses maisons.
Biographie de Jacques Couëlle
Architecte né en 1902 à Marseille et décédé en 1996 à Paris.
Très jeune, il travaille comme créateur de bijoux. Passionné par l'archéologie, l'art, l'architecture médiévale, la botanique, et l'histoire naturelle, il préfère voyager au détriment d'études universitaires.
En 1925, il fonde sa société à Aix en Provence intitulée la « Décoration architecturale, maîtrise vivante des arts et de la pierre, du fer et du feu ».
Parallèlement à cette activité, il conçoit un grand nombre de châteaux et de demeures à la fois pastiches et assemblages d'éléments anciens. Sa production architecturale reste marquée par les dépôts de multiples brevets d'inventions, dont le fermoir à clip pour collier.
Au milieu des années cinquante il se consacre uniquement à l'architecture et se voit confier des ensembles de villas et des complexes somptueux qui lui valent son surnom d'architectes de milliardaires. Son goût prononcé pour le luxe et ses diverses recherches sur l'habitat touristique lui permettrent entre autre de construire pour l'Aga Khan.
Bibliographie sommaire
- Armand Lanoux, Castellaras ou les maison du bonheur, Paris, éd. Julliard, 1965.
- Michel Ragon, «Jacques Couëlle», in Cimaise, n° 103, août – octobre 1971.
- Gilbert Luigi, Jacques Couëlle - Parenthèse architecturale, collection architecture+recherche, éd. Pierre Mardaga.
- Catalogue de l’exposition : Vivre ailleurs aujourd’hui, Centre Georges Pompidou, 1988.