« Allez hue, cheval ! » : l’utilisation de la force animale dans l'agriculture
2021 est l'année de l'agriculture aux Archives nationales du monde du travail.
Façonner la terre, domestiquer et élever les animaux, faire progresser les techniques et les outils : l’agriculture recouvre des réalités multiples. Du paysan travaillant dans les rizières d’Indochine aux syndicalistes de Massey-Ferguson, en passant par les sucreries du nord de la France ou le gigantisme des paysages américains, cette diversité des mondes agricoles aux XIXe et XXe siècles est richement documentée et illustrée dans les fonds des ANMT.
Chaque mois, nous vous faisons réfléchir, rêver ou voyager autour de cette thématique à partir de documents inédits.
L’énergie animale est une ressource précieuse pour les activités humaines. En chevauchant, chargeant ou harnachant des animaux domestiqués, les Hommes utilisent leur force de travail pour le transport, l’industrie (actionnement de machines) mais aussi pour l’agriculture. Grâce à leur force motrice, les animaux réduisent la pénibilité des travaux agricoles pour les humains et améliorent les rendements et donc les revenus des exploitations.
Un mode d’agriculture pluriséculaire
C’est au Moyen-Orient au cours du IVe millénaire avant notre ère, que l’Homme commence à atteler des bovins à des araires (instrument utilisé pour retourner la terre). Quant aux chevaux, c’est d’abord pour leur usage en tant que monture qu’ils sont utilisés, avant que l’Homme n’ait l’idée de les atteler pour les travaux des champs. On trouve également des traces de l’utilisation de l’énergie animale en Égypte antique sur des peintures funéraires.
Quels animaux pour la traction agricole ?
Selon les disponibilités locales et les pratiques d’élevage, on rencontre une grande diversité d’animaux de trait :
- bovins (utilisés en Afrique centrale mais aussi en Europe), yaks (en Asie) et buffles (également en Asie mais aussi en Amérique du Sud et dans les Caraïbes ainsi qu’en Afrique du Nord) ;
- équidés : chevaux (de races « légères » en Afrique et « lourdes » en Europe), ânes (en Afrique) ou races hybrides comme des mules (en Afrique du Nord et subsaharienne mais aussi en Amérique du Sud) ;
- camélidés : dromadaires (sur la quasi-totalité des continents africain et asiatiques) et chameaux (qu’on retrouve dans une zone allant de la Turquie à la Chine).
De manière plus anecdotique, on rencontre aussi des éléphants, des chiens et même … des rennes dans les contrées les plus froides.
Chevaux de trait
Appréciés pour leur endurance et une morphologie adaptée aux travaux de force, les chevaux de trait sont omniprésents dans l’agriculture française jusqu’au début du XXe siècle.
Les premières machines agricoles telles la charrue ou la moissonneuse-lieuse ne fonctionnent que grâce aux chevaux, ce qui explique la multiplication des races de trait. On en compte encore dix de nos jours : ardennais, auxois, boulonnais, breton, cob normand, comtois, franches-montagnes, percheron, poitevin mulassier et trait du Nord.
Relier l’animal à la machine
L’énergie animale est principalement utilisée grâce à l’attelage pour des travaux tels que les labours, les semis, les buttages et les sarclages. Les animaux sont aussi utilisés pour transporter les matériaux utiles à la ferme : bois, eau, fourrage, etc. Ils facilitent enfin l’acheminement des produits de l’agriculture vers leurs lieux de commercialisation.
Au fil du temps, les engins agricoles se perfectionnent. Dès le XIXe siècle, ils se munissent de systèmes de freinage et de suspensions. La diversité des véhicules disponibles et les différents harnachements traduisent une volonté d’adapter l’attelage à l’effort demandé et au relief du sol, le but étant de préserver la santé de l’animal.
Attelage(s)
Utilisés pour relier l’animal à la charge qu’il doit tracter sans le blesser, les systèmes d’attelages ont varié selon les époques et les lieux.
Dès l’Égypte antique, on place une barre en bois entre les cornes des bovidés, puis on la sculpte pour mieux l’adapter à la morphologie de l’animal et on y fait passer des liens en cuir.
Durant l’Antiquité, pour atteler les équidés et les faire travailler aux champs, seul existe le « collier de cou » qui est formé d’une bande de cuir souple à laquelle sont attachés des sangles puis l’attelage. Il enserre le cou de l’animal à mi-hauteur. Lorsqu’il avance, cela entrave sa respiration en appuyant sur sa trachée. Gêné, l’animal perd en force de traction. Ce n’est qu’à l’époque médiévale que le « collier d’épaule » fait son apparition : composé d’une pièce de bois rigide rembourrée de cuir, il repose sur les omoplates de l’animal. Loin d’être un détail, cette invention est primordiale : désormais l’animal respire normalement, sa force de travail en est décuplée et les rendements s’en ressentent.
Un autre type d’attelage : le travois qu’utilisent les natifs américains. Il consiste en deux barres de bois reposant sur les flancs de l’animal, ce qui permet de ne pas comprimer son torse.
Un déclin occidental
L’arrivée de la vapeur suivie de l’invention du tracteur annoncent la fin de la traction animale.
Dans les pays industrialisés, c’est la Seconde Guerre mondiale qui constitue un tournant : l’agriculture se motorise et l’énergie animale ne tient alors plus qu’une part marginale dans la production agricole. Voir notre document du mois de juin 2021 sur la mécanisation agricole.
Néanmoins, la traction animale reste l’un des modes de culture principaux dans les pays dits « en voie de développement ». Elle est classée après le travail manuel qui reste majoritaire. En troisième position, on retrouve le recours aux engins motorisés. D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, sur environ 1,3 milliard d’agriculteurs recensés dans le monde, 430 millions utilisent la traction et la fertilisation animales et seulement 30 millions cultivent en utilisant engins mécaniques et engrais chimiques.
Vers un renouveau de la traction animale ?
Dans une démarche économique mais surtout écologique, on assiste ces dernières décennies à un retour des animaux de trait dans des exploitations agricoles occidentales, en particulier maraîchères et viticoles. Dans les vignes par exemple, le recours aux équidés évite le tassement des sols provoqué par les tracteurs et prolonge ainsi la vie des ceps. De même, dans l’agriculture maraîchère biologique, le cheval de trait montrerait plus d’efficacité que la machine.
Les archives des Établissements Neu, entreprise du nord de la France spécialisée dans la création d’appareils de traitement des poussières et de conditionnement de l’air, ont été données aux ANMT entre 2001 et 2011. L’ensemble représente 4,5 ml dont de nombreuses photographies de machines.
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Bibliographie indicative :
DAUMAS Maurice, Histoire générale des techniques (tome 1), Presses universitaires de France, 1996.
HAVARD Michel, LHOSTE Philippe & VALL Éric, La traction animale, Éditions Quae, Versailles, 2010. Consultable intégralement en ligne.
LE THIEC Gérard, Agriculture africaine et traction animale, CIRAD, 1996. Consultable intégralement en ligne.
MATZ Fanny & VIGNIER-DECOSSIN Elsa, Vies de cheval : du fond de la mine aux jeux équestre, catalogue de l’exposition proposée aux Archives nationales du monde du travail en 2014.
« La traction animale dans le monde » in www.energie-cheval.fr (consulté le 27/10/2021).