« Ce monde-là, changeons-le » : enfants et industrie textile
En 2022, les Archives nationales du monde du travail rejoignent la programmation de la ville de Roubaix autour de la thématique « Textiles du monde ».
Si l’industrie textile a laissé son empreinte sur ses grandes cités françaises, elle a aussi marqué la vie de ses travailleurs et travailleuses, fait prospérer des dynasties familiales ou encore permis l’émergence de marques de vêtements restées célèbres.
Chaque mois, les ANMT vous proposent un voyage dans le temps et dans l’univers textile, pour mieux comprendre nos mondes d’aujourd’hui !
Déjà coutumier dans l’agriculture ainsi que - dans une moindre mesure - dans l’artisanat, l’emploi d’enfants s’est développé dans l’industrie textile dès la fin du XVIIIe siècle. La manufacture royale des draps de Sedan emploie par exemple des enfants dès l’âge de 7 ans.
Dans la région de Tourcoing, à la fin du XVIIIe siècle, sur 8 000 employés de filatures, près de 3 000 sont des enfants. Au début des années 1840, l’industrie textile en France aurait compté jusqu’à 93 000 enfants.
Durant cette même période, la machine à vapeur se généralise dans tous les domaines d’activités et notamment pour les métiers à tisser. La mécanisation entraîne l’embauche de manœuvres sans qualification dès l’âge de 8 ans.
Dans les filatures, les enfants sont utilisés pour attacher les fils brisés sous les métiers à tisser en marche, nettoyer les bobines encrassées, ramasser les fils de coton ou travailler sur les machines à dévider. Ils sont aussi chargés de la surveillance du bon fonctionnement des machines et peuvent rester jusqu’à 16 heures debout.
Les enfants travaillent souvent dans le même atelier que leurs parents, auxquels ils remettent leur salaire (entre le quart et la moitié du salaire d’un adulte). Si leur travail peut s’avérer être le début d’une formation professionnelle pratique, il s’agit avant tout de compléter les revenus de la famille.
En 1827, à la Société Industrielle de Mulhouse, des industriels alsaciens s’émeuvent du sort réservé aux travailleurs enfants en soulignant « le dépérissement rapide des enfants dans les manufactures de coton. »
Les accidents, blessures voire décès ne sont pas rares. Ainsi le peignage de la laine amène à des noyades d’enfants dans les fosses de lavage. Les rapports accablants sur les conditions de travail et les accidents dont sont victimes les enfants vont amener à la loi du 22 mars 1841, votée pour organiser et limiter le travail des mineurs. Les entreprises de plus de 20 salariés ne peuvent plus employer d’enfants de moins de 8 ans. Les plus âgés ont une durée de travail réglementée : 8 heures par jour jusqu’à 12 ans et 12 heures jusqu’à 16 ans. Il faut attendre une loi de 1874 pour que le travail soit interdit aux enfants de moins de 12 ans.
D’autres lois vont suivre, mais la protection des enfants est aussi liée à l’instauration de la scolarité obligatoire en 1881-1882 pour les enfants entre 6 et 13 ans. Cependant, l’affectation des enfants aux travaux dangereux, insalubres ou préjudiciables à leur santé reste une réalité jusqu’à une loi de 1926, notamment dans les secteurs de l’effilochage et le cardage des textiles ou la manipulation de pigments et colorants.
De nos jours en Europe occidentale, le travail des enfants pour l’industrie textile ne concerne plus que le commerce du textile, avec notamment l’emploi de jeunes mannequins pour illustrer les collections pour enfants des catalogues de vente par correspondance.
L’évolution favorable de la situation des enfants dans l’industrie textile française n’est pas représentative de ce qu’il se passe dans le monde. Le Bangladesh, la Chine, la Corée du Nord, l’Éthiopie, l’Inde et le Népal se voient ainsi reprocher leur recours au travail des enfants.
Plus encore, la mise en danger de la santé des enfants s’accroit avec l’utilisation de procédés chimiques ou techniques sans protections. Le secteur textile concerne 168 millions d’enfants contraints de travailler.
Des progrès se font néanmoins sentir. Le rapport Estimations mondiales du travail des enfants 2012-2016 de l’Organisation mondiale du travail souligne que depuis 2000, il y a une diminution de presque un tiers du nombre des enfants au travail.
Créée en 1868, la filature textile Le Blan a été liquidée en 1989. Ses archives ont été confiées aux ANMT la même année, elles documentent le fonctionnement de l’entreprise, notamment au travers d’une très riche photothèque. Les archives du personnel d'entreprises textiles du Nord de la France réunies par la Caisse complémentaire de retraite du textile - Institution de retraites complémentaires du textile (CARTEX-IRCOTEX) ont été confiées aux ANMT en 1999. Le fonds Motte-Bossut rassemble les archives des différents établissements exploités par la société depuis sa création : filature de coton à Roubaix, tissages de coton à Leers, Comines et Vadencourt, filature de laine à Roubaix, manufactures de velours à Roubaix et Amiens ainsi que ses filiales. Les archives de la filature et tissage mécanique de la Maison Cavrois-Mahieu et fils (Roubaix) se composent essentiellement de documents comptables et techniques ainsi que de documents relatifs à la gestion du personnel. La collection des pièces isolées est classée par typologies : pièces isolées sur supports papiers, iconographiques ou encore audiovisuels. Les archives de l’entreprise de vente par correspondance « Les 3 Suisses » se composent exclusivement des catalogues de l’entreprise et de marques concurrentes. Les archives photographiques d’Emmaüs international regroupent négatifs, planches-contacts, tirages, diapositives, albums et panneaux de l’association et de l’abbé Pierre. La collection des affiches du Secours populaire français illustre quarante ans d’actions de communication de cette association. |
Bibliographie et ressources :
CAPITANT Henri, Les accidents du travail survenus aux enfants âgés de moins de treize ans, 1913, Marcel Rivière, Paris. ANMT 1995 67 130.
FLOUTARD Gilles, Le travail des enfants dans les filatures de coton, au début du XIXe siècle : « l’école gratuite d’industrie » de Boyer-Fonfrède (1803-1808), sans date, Association Les amis des archives de la Haute-Garonne. ANMT H 1787.
HEYWOOD Colin, « Le travail des enfants en Europe (XIXe siècle) », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe, 2022. Consultable en ligne.
KIRBY Peter, « Travail des enfants, risques professionnels et législation industrielle dans les industries textiles et minières en Grande-Bretagne au début du XIXe siècle », Le Mouvement Social, 2014/4 (n° 249), p. 91-114. Consultable en ligne.
LEGRAND Daniel, Sur le travail des enfants dans les manufactures 1830-1855, 1979, EDHIS, Paris. ANMT H 1572.
MARCHAND Philippe et ROBINET René, Le travail des enfants au XIXe siècle dans le département du Nord, 1981, CRDP, Lille. ANMT H 0595.
Organisation internationale du travail (OIT), Un avenir sans travail des enfants, Rapport global du directeur général, Conférence internationale du travail, 90e session, Bureau international du travail, Genève, 2002. Consultable en ligne.
RABIER Jean-Claude (dir.), Travail et travailleurs dans l'industrie textile : table ronde du 5 juin 1986, Centre Mahler, Paris, 1987, CNRS. ANMT H 10531.
« Le travail des enfants en recrudescence pour la première fois en vingt ans », www.lemonde.fr, 2021. Consultable en ligne.