Trouver la juste teinte : le métier de teinturier
En 2022, les Archives nationales du monde du travail rejoignent la programmation de la ville de Roubaix autour de la thématique « Textiles du monde ».
Si l’industrie textile a laissé son empreinte sur ses grandes cités françaises, elle a aussi marqué la vie de ses travailleurs et travailleuses, fait prospérer des dynasties familiales ou encore permis l’émergence de marques de vêtements restées célèbres.
Chaque mois, les ANMT vous proposent un voyage dans le temps et dans l’univers textile, pour mieux comprendre nos mondes d’aujourd’hui !
Mains et vêtements tachés, environnement saturés de produits nauséabonds voire dangereux : le métier de teinturier garde mauvaise réputation. Pourtant, il est essentiel dans l’univers du textile et de la mode. En effet, dès le XVIIIe siècle, la couleur devient un élément central notamment dans le lancement des « saisons » des premiers magazines de mode.
Si la pratique existe depuis l’Antiquité, elle s’est industrialisée au tournant du XIXe siècle. Toutes deux situées à Roubaix, la « Manchester française » de l’époque, les entreprises Phildar et Scrépel nous en fournissent un exemple.
L’évolution d’un savoir-faire
Au début de la chaîne de la teinture, il y a longtemps eu des pigments naturels. En Égypte antique, on utilisait du lapis-Lazuli pour obtenir du bleu, tandis qu’au Mexique, on recourait à un mélange de turquoise et de jade pour obtenir des teintes bleu-vert. Plus tard, l’Italie créera le jaune de Naples qui sera ensuite interdit en raison de son contenu toxique en plomb. L’indigo était surtout importé des Indes et la garance d’Asie occidentale et centrale.
Le commerce de ces pigments permet aux teinturiers du monde entier d’avoir accès à de plus grandes variétés de nuances. Mais les couleurs coûtent cher et le teinturier artisanal doit faire un choix, souvent en se concentrant sur une déclinaison de pigments et de couleurs, comme les gammes de bleu ou les gammes de rouge, d’où une segmentation à l’époque de la Renaissance : Les teinturiers sont répertoriés d’après le type de fibres qu’ils teignent, les catégories de colorants et les couleurs qu’ils emploient. Ils deviennent ainsi soit teinturiers de grand teint (haut de gamme) ou de petit et faux teint (bas de gamme).
L’essor de l’industrie au XIXe siècle voit se systématiser les couleurs synthétiques, moins chères et plus faciles à produire. Le nuancier normalisé de Pantone pour l’industrie textile permet désormais aux teinturiers d’avoir une large gamme de couleur à proposer sans devoir les élaborer par eux-mêmes.
Des textiles, des techniques
Si la teinturerie relève de l’artisanat, voire même de l’art dans l’assemblement des couleurs, c’est aussi une opération très technique. Après avoir appliqué un mordant (sel métallique) sur l’étoffe, on la soumet à différents traitements qui vont permettre aux couleurs de se fixer durablement sur le textile.
Quelques exemples :
- La laine est dégraissée en la nettoyant à l’urine ou à l’eau savonneuse avant de l’égoutter.
- La soie doit d’abord être débarrassée de son grès (la gomme imperméable qui la recouvre) en étant nettoyée à plusieurs reprises à l’eau savonneuse.
- Le coton pour sa part est blanchi en étant bouilli dans de l’eau pure puis recouvert d’une couche de cendre et arrosé à la chaux.
Ces procédés de traitement de la matière première permettent ensuite de passer à l'étape de la teinture proprement dite. Muni de de son carnet de laboratoire - où sont inscrites ses « recettes » de teintures, parfois accompagnées d'échantillons de tissus et d’annotations diverses afin de pouvoir reproduire la couleur désirée - le teinturier artisanal fait tremper les étoffes dans les cuves de teintures après y avoir versé le pigment. Il vient alors tourner l’étoffe dans la cuve pendant plusieurs heures, de manière à faire pénétrer le pigment jusqu’à obtention de la couleur désirée.
Phildar ou la teinture de la laine industrialisée
La société Mulliez-Lestienne, créée en 1913, travaille et négocie les fils de laine. En 1932, elle s’industrialise avec l’installation d’une teinturerie sur laines peignées. Tous les stades de la fabrication du fils à tricoter sont alors réalisés au sein de l’entreprise : peignage, teinture, mélange, filature, retordage, vaporisation, pelotonnage et contrôle.
En 1945, l’entreprise créée la marque franchisée « Phildar ». Dès 1960, les ventes s'organisent à l'exportation avec la création de plusieurs boutiques partout en France et en Europe.
Équipé de machines à la pointe de la technologie pour l’époque, le personnel est également qualifié et formé à l’évolution des techniques.
Scrépel : une petite entreprise de teinturerie innovante
L’entreprise Scrépel est fondée le 4 octobre 1862, par Émile Scrépel-Moyart et Alphonse Toussaint sous le nom de « Société Scrépel-Moyart, Toussaint et Compagnie ». Son activité se centre sur la teinture de laine, de soie et de coton. Le siège social en est fixé rue de la Tuilerie à Roubaix.
Elle développe différentes techniques de traitement de la laine, comme l’impression sur ruban de laine peignée (appelé aussi impression Vigoureux), le traitement infeutrable ‘’Scrépel’’ et ‘’Dylan ‘’ ainsi que la teinture sur bobine.
Dans les années 1980, elle compte 54 employés mais se trouve en difficulté. Devenue Teinturerie industrielle de Roubaix (TIR) puis Nouvelle teinturerie industrielle de Roubaix (NTIR), elle ferme en 1990. Son ancien bâtiment administratif de style Art déco est préservé tandis que l’usine est détruite.
Teinturier, un métier qui demeure indispensable
Le métier évolue avec son temps. On constate pourtant que la teinturerie artisanale perdure encore au XXIe siècle malgré une concurrence difficile. Le procédé est plus lent et aussi plus coûteux, notamment en raison de l’augmentation constante des prix des colorants naturels.
En France, l’Atelier des Teintures de France pratique encore la teinture artisanale pour textiles destinés à la Haute couture et au luxe. Parfois certaines teintureries pratiquent teinturerie artisanale ou industrielle, en fonction du type de commande qu’elles reçoivent. Les grandes teintureries industrielles peuvent teindre plusieurs tonnes de fils par commande tandis qu’un artisan seul peut aller jusqu’à un demi-kilo.
Indissociable de l’industrie textile, l’art de la teinturerie qu’il soit artisanal ou industriel, n’est pas prêt de disparaître.
Le fonds L. & F. Delmasure comporte plusieurs livres, planches et échantillons de tissus ainsi que de la documentation écrite. Les archives de l’usine Sander de la société Gillet-Thaon (blanchiment, teinture et apprêt à Haubourdin, Nord) renferment notamment un catalogue d’échantillons de laboratoire. Délégués syndicaux chez Les Fils de Louis Mulliez (Phildar) et militants associatifs, Marie-Paule et Bernard Moreau ont fait don de leurs archives professionnelles en 2000, on y trouve de la documentation administrative mais aussi un fonds photographique. La collection des pièces isolées présumées extraites de dossiers de clientèles bancaires offre une variétés de papiers à entêtes documentant l’activité d’entreprises pour la plupart aujourd’hui disparues. Créée en 1868, la filature textile Le Blan a été liquidée en 1989. Ses archives ont été confiées aux ANMT la même année, elles documentent le fonctionnement de l’entreprise, notamment au travers d’une très riche photothèque. Le fonds de la teinturerie Scrépel est entré aux Archives nationales du monde du travail en 1991. Il contient de nombreux documents concernant l’histoire de la société, ses bâtiments, son activité ainsi que son personnel. La photographie de la teinturerie La Caudrésienne fait partie de la collection des pièces isolées iconographiques des Archives nationales du monde du travail. |
Bibliographie indicative
BOVE Boris, « Une sombre affaire de teinturerie : organisation corporative et territoires de production à Saint-Denis à la fin du XIVe siècle », Médiévales, n°69, 2015. Consultable en ligne.
CASSELLA Léopol, La teinture du coton et des fibres similaires, Manufacture Lyonnaise de Matières Colorantes, 1902.
SALLE Marjory, « Du métier de coloriste teinturier ... », Horizons Maghrébins - Le droit à la mémoire, n°42, 2000. Consultable en ligne.
VIEL Claude, « Colorants naturels et teintures du XVIIe siècle à la naissance des colorants de synthèse », Revue d'histoire de la pharmacie, n°347, 2005. Consultable en ligne.
« Atelier de teinture et nuancier » via le site internet du Mobilier national : http://www.mobiliernational.culture.gouv.fr/fr/nous-connaitre/les-manufactures/atelier-de-teinture-et-nuancier