Histoire de l'usine Motte-Bossut

Une "filature monstre" au bord d'un canal à Roubaix

1843. Louis Motte-Bossut, fils d'une famille commerçante de Tourcoing et gendre du maire de Roubaix, construit au bord d'un bras mort du canal de Roubaix un immense bâtiment de cinq étages pour y installer sa filature de coton.

L'usine est si énorme qu'on la surnomme "la filature monstre".

Il n'en reste aujourd'hui qu'un fragment du mur d'enceinte. Pourtant, à l'époque, elle est le symbole des innovations technologiques venues d'outre-Manche.

Dès les premières années, des incendies favorisés par le bois des planchers et l'omniprésence de la poussière ravagent le bâtiment.

Illustration : gravure issue de l'ouvrage "Motte-Bossut, 
un homme, une famille, une firme (1843-1943)" 
de Gaston Motte-Bossut.
ANMT BIB H 3521.

Entête de papier à lettre à l'effigie du bâtiment.

Un château de l'industrie

1866. À la suite d'un énième incendie, Louis Motte-Bossut transfère toute son activité dans une annexe construite de l’autre côté du bras mort du canal de Roubaix. C'est dans ce bâtiment que se trouvent les ANMT aujourd'hui.

Ses partenaires initiaux se sont retirés de l'affaire, Motte-Bossut poursuit donc avec quatre fils : la société Motte-Bossut et cie est dissoute pour laisser place à Motte-Bossut et fils.

Illustration : détail d'un papier à entête issu
du fonds Motte-Bossut.
ANMT 1988 7 15.

Photographie de l'intérieur de la filature.

Un bâtiment à l'épreuve du feu

L'ancienne annexe, devenue bâtiment principal de la filature de coton Motte-Bossut, bénéficie d'un procédé dit fireproof. D'origine anglaise, il est basé sur l'exclusion totale de matériaux inflammables grâce à un système de voûtains en briques reposant sur des poutres en fer et des colonnes en fonte.

Ce système est toujours en partie observable de nos jours.

Illustration : photographie de l'intérieur de la filature
avec des machines de type "continu à filer", sans date.
ANMT 1988 7 467.

Une filature en pleine expansion

La fin du 19e siècle est fastueuse pour la filature qui s'étend jusqu'à en venir à privatiser la rue des filatures afin de réunir les deux corps de l'usine.

Illustration : schéma d'implantation de la filature mentionnant 
les années de création des extensions (1943).
ANMT 1988 7 52.

Photographie de la tour et de la cheminée à l'entrée de la filature.

Une façade qui marque les esprits

Cheminées crénelées, fenêtres de style cathédrale et pignons à créneaux : l'architecture de l'usine fait volontairement appel à un imaginaire médiéval.

Même si cela revêt aussi un certain aspect pratique - la tour renfermant des escaliers - il s'agit surtout de marquer l'emprise de la famille Motte-Bossut sur le paysage urbain de Roubaix.

Illustration : photographie de réparation sur la cheminée, date inconnue.
ANMT 1988 7 394.

Un déclin qui s'annonce

Fin des années 70. La crise économique de la seconde moitié du XXe siècle n'épargne pas le groupe Motte-Bossut. Malgré des tentatives de relance via de nouveaux produits réunis sous la marque "Sporvel" et l'achat de nouvelles machines à tisser, le groupe ne parvient pas à survivre à la vague de désindustrialisation qui frappe la région Nord-Pas-de-Calais.

La position géographique de l'usine en plein centre ville se révèle un handicap face aux nouvelles stratégies urbaines de la municipalité : l'implantation à quelques pas du centre commercial Roubaix 2000, nouvel espoir de la ville, offre un contraste saisissant entre passé industriel et désir de modernité. L'usine devient une "verrue" dans un secteur rénové entre barres de logements neufs, centre commercial d'envergure et projet d'implantation du métro.

Illustration : vue aérienne de l'usine Motte-Bossut (1973).
ANMT 1988 7 394.

Photographie d'une façade de l'usine désaffectée, aux fenêtres cassées.

"Le château fort est tombé"

C'est l'expression utilisée dans l'article de la Voix du Nord du 24 juillet 1982 pour annoncer la liquidation du groupe Motte-Bossut.

Les 650 derniers salariés du groupe sont licenciés.

Quant à l'immense usine de 9 000 m², elle est définitivement fermée depuis avril 1981. Devenue ombre féodale du passé industriel dans une ville qui souhaite se tourner vers l'avenir, seule l'inscription de ses "parties anciennes" à l'Inventaire Supplémentaire des monuments historiques en 1978 la sauve de la démolition et lui assure le statut de patrimoine à préserver.

Illustration : photographie de l'usine en friche (années 1980).

ANMT 2005 59 1.

Réhabilitation

1984. La ville de Roubaix est choisie pour l'implantation du premier "centre des archives du monde du travail" (voir Histoire de l'institution).

Dès 1985, un concours d’architectes est lancé. C'est le projet du cabinet AREA et de l'architecte Alain Sarfati qui l'emporte, notamment grâce au parti pris de consacrer 1 800 m² de surfaces aux animations culturelles.

Illustration : photographie d'une maquette de l'architecte Alain Sarfati, vers 1985.
ANMT, archives du service.

Métamorphose -1

Les travaux de réhabilitation commencent en mars 1989 et s'achèvent en 1993, avec un budget de 150 millions de francs d'investissement.

L'architecte a l'ambition de transformer cette usine massive, lourde et saturée d'odeurs, en lieu lumineux, ouvert et élégant. Il voit cette ancienne filature comme un vaisseau échoué en centre-ville.

Illustration : photographie du chantier lors du début des travaux (fin des années 1980).
ANMT, collections des pièces isolées, 2005 52 21.
Crédits : Cabinet AREA (droits réservés).

Photographie du chantier de l'aile est du bâtiment

Métamorphose -2

L'aile est est complètement évidée pour permettre la construction d'une structure en béton de huit étages capable de supporter de très fortes charges au sol.

Elle accueille désormais les documents d'archives conservés dans trente-sept magasins d'une capacité de un à deux kilomètres linéaires chacun.

L'aile ouest est en partie conservée, notamment ses planchers et poteaux en fonte.

Illustration : photographie du chantier, l'aile est est au premier plan 
et l'aile ouest au second (fin des années 1980).

ANMT, collection des pièces isolées, 2005 52 37.

Crédits : Cabinet AREA (droits réservés).

Dessin d'architecte du puits de lumière de l'aile ouest.

Métamorphose -3

L'architecte Alain Sarfati construit son projet de rénovation autour d'une métaphore maritime, souhaitant faire du bâtiment du centre des archives du monde du travail "un navire qui vogue vers l'avenir".

De nombreux éléments architecturaux renvoient à cette métaphore navale, notamment le puits de lumière de l'aile ouest et ses gardes-corps rappelant des bastingages, les toiles blanches cascadant le long des cinq étages du corps central ou encore la salle de lecture avec son mobilier de type "mouette", son plafond pourvu d'une toile bleue ondulée, ses poteaux rappelant des cheminées de bateaux et surtout son bow-window.

Illustration : croquis du puits de lumière de l'aile ouest.

ANMT 2005 52 96, collection des pièces isolées.

Crédits : Arcima, Agence SAREA (droits réservés).

Photographie du corps central du bâtiment.

Métamorphose -4

Le corps central, correspondant à l'ancienne rue des Filatures privatisée sous les Motte-Bossut, est conçu comme un lieu de passage dans le but de lui rendre son usage d'origine et de renforcer l'implantation du bâtiment dans la vie du quartier. L'idée était de permettre aux habitants de s'approprier le bâtiment en le traversant.

Pour des raisons de sécurité, ce passage est aujourd'hui fermé au public.

Illustration : photographie de la façade du corps central, vue depuis le mail Jacques-Prouvost.
ANMT, archives du service (2005).

Photographie de l'entrée des ANMT en 2019.

Métamorphose -5

L'emblématique façade sud-ouest devait être porteuse d'un message et identifier clairement le bâtiment.

L'entrée se présente sous la forme d'un "auvent imaginé comme une toile tendue entre deux mâts, passerelle entre le navire et sa ville". Même si ce n'était pas la volonté de l'architecte, cet auvent rappelle fortement un pont-levis, si bien que le terme "entrée du pont-levis" est entré dans le langage courant des agents et usagers des ANMT.

Délaissée pendant quelques années au profit d'une entrée par le corps central, elle a été rouverte en 2019 et est redevenue l'entrée principale des Archives nationales du monde du travail.

Illustration : photographie de l'entrée des Archives nationales du monde du travail.
Cliché ANMT (2019).

Vue du graph ornant le portail de livraison des ANMT.

Passé, présent, futur

Roubaix est une ville de street-art et les ANMT ont souhaité s'inscrire dans ce mouvement.

En 2020, elles ont fait appel au grapheur Logick, membre du collectif Renart, pour habiller leur portail de livraison. L'artiste a planché sur une vision moderne, voire futuriste des archives : il a imaginé un pendant "dématérialisé" de l'usine Motte-Bossut, briques et données s'envolant ensemble sur un vaisseau spatial.

Illustration : graph ornant le portail de livraison des ANMT (façade est).
Cliché ANMT, 2020.