Aller au charbon sous les bombes : une compagnie minière en temps de guerre - épisode 1
Notre thématique de l’année 2023 sera celle de la grande exposition « Travailler en temps de guerre » présentée du 26 mai 2023 au 4 mai 2024 aux Archives nationales du monde du travail.
Comment les conflits armés changent-ils les modes d’organisation du travail ? Quels sont les impacts sur les vies, les corps et les esprits des travailleurs ? Tout au long de l’année, nos dossiers ou documents du mois prolongeront l’exposition en interrogeant les liens entre guerre et travail.
« Défense passive ». Cette expression équivoque est inscrite en lettres rouges majuscules sur le plan d’aménagement d’un abri à Noeux-les-Mines (Pas-de-Calais). C’est là, dans les fondations d’une ancienne machine d’extraction de charbon, que se cacheront les mineurs lors des alertes aériennes durant la seconde guerre mondiale.
La Défense passive a pour objectif de protéger les populations civiles en cas d’actes de guerre : attaques aux gaz mais surtout bombardements et conséquences qui en découlent (effondrements, incendie, etc.). Une première loi avait déjà posé les principes de la défense passive en 1935, mais en juillet 1938 la menace du retour d’un conflit armé se précise : une loi de défense nationale accélère la mise en œuvre des mesures de protection. Ce sont les premiers bouleversements de la vie quotidienne des français liés au retour de la guerre.
La plupart de ces mesures (systèmes d’alertes sonores, constructions d’abris, désignation de brancardiers, etc.) concernent les municipalités. Néanmoins, les entreprises s’organisent également car la sécurité des employés doit être assurée sur place durant leur temps de travail.
Dès 1938, la compagnie minière de Vicoigne, Noeux et Drocourt se penche sur l’adoption de mesures de défense passive. Les compagnies minières sont un rouage essentiel de l’industrie en temps de guerre : sans le précieux combustible qu’elles extraient de la terre, impossible d’alimenter les usines d’armement ou de faire circuler les trains. Un site minier est donc une cible stratégique pour l’ennemi et il est essentiel de s’y protéger des attaques aériennes.
À Noeux, l’architecture complexe et ancienne du carreau de mine est mise à contribution : ancien local de chaudière, fondations d’une ancienne machine d’extraction ou d’une ancienne machine à vapeur servent d’abris de fortune. On creuse également des abris sous le terril.
La nuit, toute source de lumière peut servir de cible à un avion bombardier. Les employés qui ont besoin d’éclairage reçoivent des consignes strictes, et l’éclairage du carreau est entièrement reconfiguré : certaines lampes sont supprimées, d’autres sont camouflées (bleuies) et munies d’abat-jour. Un poste de secours est aussi mis en place.
Du côté des « Grands bureaux », les abris sont aménagés en sous-sol, et la protection des bâtiments est renforcée par des sacs de terre. Les abris sont répartis entre les différents services présents sur le site en fonction de leur effectif.
Malgré ces mesures, la compagnie des mines de Vicoignes, Noeux et Drocourt est frappée par des bombardements aériens en 1941, 1942 et 1943. En 1942, elle estime que les dégâts d’une seule nuit de frappes aériennes (du 5 au 6 avril) s’élèvent à 48 647 francs.
Ces plans d’installations de défense passive sont conservés aux ANMT au sein des archives de la compagnie de Vicoigne, Noeux et Drocourt. D’un volume de 418 mètres linéaires, ce fonds documente de manière assez complète l’activité de cette compagnie, et notamment son organisation en temps de guerre.
Pour aller plus loin :
Compagnie des mines de Vicoigne, Noeux et Drocourt : défense passive (1939-1943). ANMT 1994 51 1118.
Compagnie des mines de Vicoigne, Noeux et Drocourt : bombardements aériens (1941-1943). ANMT 1994 51 1358.
« La défense passive », Chroniques « Pour mémoire », Archives départementales du Gard. Consultable en ligne.
Brochure « Ce que le public doit savoir en matière de défense passive », Archives de Paris. Consultable en ligne.
« Le Sénat 1940-1944 – Défense passive », dossiers d’histoire, www.senat.fr. Consultable en ligne.