L’accueil des travailleurs immigrés en France, une réponse aux besoins de main d’œuvre de l’industrie
En 2024, les ANMT s'emparent de la thématique "Travail et migrations" en lien avec leur programmation culturelle du second semestre.
Quels sont les liens entre industrie et flux migratoires ? Qui est à l'initiative du départ ? Comment les travailleurs venus d'ailleurs vivent-ils et sont-ils perçus par la population locale ? Quels sont les secteurs les plus demandeurs de cette main d’œuvre ? Quel impact sur les cultures professionnelles ? Tout au long de l'année, nos dossiers ou documents du mois questionnent les liens entre migrations et travail.
La révolution industrielle bouleverse la société française, du point de vue technique mais aussi social. Ses trois secteurs les plus importants que sont l’extraction houillère, la métallurgie et le textile nécessitent une main d’œuvre nombreuse qui ne se satisfait pas seulement des nouveaux urbains issus de l’exode rural.
Ainsi, les premiers immigrés de travail arrivent en France dès le milieu du XIXe siècle.
Dans le Nord, département particulièrement actif dans l’industrialisation, les Belges flamands arrivent en grand nombre pour travailler dans le textile. En 1886, la moitié de la population de Roubaix est belge.
Celle-ci n’est pas toujours très bien accueillie, comme l’illustre cet extrait d’une chanson populaire de la fin du XIXe siècle intitulée « Les pots au burre » (comprendre « les pots au beurre » qui désignent les ouvriers belges) :
L’pot au burre fait la fraude
- Bibliothèque numérique de Roubaix
Vole eu l’gouvernemint,
In trafit’chant d’la sorte
Gagne vingt sous chaq’ matin.
Cependant, le patronat industriel est très friand de cette main d’œuvre étrangère, qu’il place aux postes les plus difficiles et les moins bien rémunérés. Ainsi, l’ouvrier étranger ne peut guère espérer plus qu’un poste de manœuvre ou d’ouvrier non qualifié.
Après la première guerre mondiale, les nationalités deviennent plus variées, avec un net avantage aux Polonais et Italiens, dont les gouvernements ont signé des conventions avec la France pour l’envoi de main d’œuvre en 1919. Ces conventions définissent notamment les conditions d’accueil des ouvriers ainsi que leur rémunération et leurs droits.
Pour fixer ces populations, les grandes entreprises industrielles, telles que les compagnies minières, construisent des cités par nationalités et facilitent la conservation du lien avec le pays d’origine en recrutant, par exemple, des moniteurs polonais pour faire la classe aux enfants.
En 1929, la crise économique voit apparaître les premiers chômeurs dans l’industrie. En France, la législation se tend et pointe du doigt les travailleurs immigrés. Ainsi, en 1932, la loi du 10 août « protégeant la main-d’œuvre nationale » fixe par secteurs d’activité des quotas de travailleurs étrangers. Malgré les protestations des grands industriels, dont certains emploient plus de 50 % de main d’œuvre étrangère, des licenciements importants sont opérés. Peu à peu, les ouvriers étrangers sont tout simplement renvoyés dans leurs pays d’origine. Les Polonais ont été les plus durement touchés par cette vague de retour. Comme pour leur venue, celui-ci est organisé par les entreprises qui les avaient amenés en France, dans des conditions sommaires.
Cette vague de licenciement n’est pas soutenue par l’ensemble de la population française et des syndicats essaient de lutter en rassemblant les ouvriers français et étrangers (en l’occurrence, belges).
Après la deuxième guerre mondiale, la France se tourne vers ses colonies et protectorats pour recruter le personnel nécessaire à l’effort de reconstruction. Ainsi, d’abord des Algériens, puis des Tunisiens et Marocains, viennent travailler dans les mines, les usines, mais aussi les exploitations agricoles françaises.
Comme pour les Polonais, le recrutement est organisé sur place. Les ouvriers sont amenés en France et logés ensemble dans des cités ouvrières souvent précaires et insalubres.
Le rapport entre la société française et les populations immigrées se tend à nouveau dans les années 1970, face à une nouvelle crise économique qui voit s’envoler le chômage. Une fois de plus, le travailleur étranger est pointé du doigt.
Bien que les pouvoirs publics suspendent à ce moment l’arrivée des travailleurs étrangers, ils choisissent également de travailler à mieux intégrer les personnes qui sont déjà sur le territoire national. Ainsi, en 1972, la « loi française contre le racisme » est votée, rendant illégales les pratiques discriminatoires à l’encontre des populations étrangères.
Petit à petit, les bidonvilles sont remplacés par des lotissements plus décents.
En parallèle, des associations viennent en aide aux populations immigrées dans la difficulté en les aidant à s’insérer dans le monde du travail.
D’autres réfléchissent aussi à une autre forme d’intégration de ces populations, vantant la richesse de la société multiculturelle.
Dans les années 1980, la vision de « l’étranger » évolue peu à peu, passant de la personne qui doit s’assimiler, quitte à gommer ses origines, à la personne qui vient enrichir et faire progresser la culture française. Cette évolution laisse place à une nouvelle manière de penser l’intégration des populations immigrées, qui reflète notre société actuelle.
Pour aller plus loin :
Ouvrières et ouvriers immigrés en France aux 19e et 20e siècle : « Doublement prolétaires » ?