Action de la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire, 1883. ANMT 132 AQ 239, Banque Rothschild Frères

La ruée vers le pétrole du Caucase : le personnel de la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la mer noire

2024 - Travail et migrations

En 2024, les ANMT s'emparent de la thématique "Travail et migrations" en lien avec leur programmation culturelle du second semestre.

Quels sont les liens entre industrie et flux migratoires ? Qui est à l'initiative du départ ? Comment les travailleurs venus d'ailleurs vivent-ils et sont-ils perçus par la population locale ? Quels sont les secteurs les plus demandeurs de cette main d’œuvre ? Quel impact sur les cultures professionnelles ? Tout au long de l'année, nos dossiers ou documents du mois questionnent les liens entre migrations et travail.

 

Action de la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire, 1883.

 

Fondée en 1883 par deux hommes d’affaires russes, la Batumskoye Neftepromyshlennoye i Torgovoye Obschestvo (BNITO) exploite un gisement pétrolier à Bakou (actuel Azerbaïdjan), ainsi que le chemin de fer qui le relie à Batoum (devenue Batoumi, en actuelle Géorgie). Ces deux villes appartiennent alors à l'Empire russe.

Au cours des années 1880, la banque d’affaire Rothschild Frères, qui avait participé au financement de la construction de la ligne de chemin de fer, rachète finalement l’affaire et la renomme Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire.

Vue extérieure sur les ateliers d'emballage et les voies ferrées de la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire, tirage photographique noir et blanc, 1896.

 

Désormais le siège de l’entreprise est à Paris mais ses deux principales agences sont à Bakou et Batoum. En plus des puits et pipe-lines de naphte et de kérozène, les installations réparties sur divers sites comptent une usine de fer-blanc, une usine de kérosène, des hangars, des estacades (installations sur pilotis), une scierie, un comptoir, un réservoir, des ateliers de remplissage et les logements du personnel.

Vue intérieure d’un des ateliers de remplissage d’estagnons de la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire, tirage photographique noir et blanc, 1896.

Un album photographique permet de découvrir les multiples installations de cette société qui participe à l’expansion du pétrole russe à hauteur de 7 % de la production totale.

Vue extérieure des réservoirs avec fûts de bois et wagons-citernes de la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire, tirage photographique noir et blanc, 1896.

La société est pionnière dans le transport du pétrole. Elle le transporte au sein d’ « estagnons » (bidons de fer-blanc fabriqués sur place) installés sur des wagonnets spécifiques plutôt qu’en fûts ou caisses de bois, ce qui permet d’optimiser et de rentabiliser le transport. Viennent ensuite des wagons citernes.

Remplissage, emballage, transport du pétrole par la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire, schémas de l’ingénieur comptable Guyon, 1907. ANMT 132 AQ 289, Banque Rothschild Frères

 

Les archives de la Maison Rothschild Frères, déposées aux ANMT, documentent les activités de la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire. Plus particulièrement, trois dossiers sont relatifs au personnel réparti entre la France, l’Empire russe et les agences de vente à l’international.


On y trouve notamment 62 demandes d’emploi pour la période 1886 – 1912. Parmi ces candidatures (60 hommes et 2 femmes), il y a ceux qui veulent à tout prix un poste dans l'Empire russe, et ceux qui, au contraire, cherchent une place à Paris ou ailleurs. Ils viennent de France, d’Allemagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de l'Empire russe, des territoires colonisés, etc.

Qu’ils soient comptables, traducteurs, ingénieurs, commerciaux ou voyageur en titre, chacun use de ses atouts linguistiques (ou non) et de ses expériences passées pour décrocher une bonne situation. Certains mettent en avant leurs recommandations, d’autres au contraire viennent en demander une pour appuyer leur candidature dans une autre entreprise.

Pour inspirer recruteurs et candidats, deux archivistes des ANMT ont pré-sélectionné les meilleures candidatures. À vous de choisir votre préférée !

Candidature de E. Leon, Anglais, à un poste au siège parisien de la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire, correspondance, 1903.
Candidature de Thea Diener, Allemande, à un poste au siège parisien de la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire, correspondance, tirage photographique noir et blanc, 1908.

 

Les postes au siège de Paris sont appréciés par les étrangers tels les Allemands, les Anglais et les Russes.

Les postes à l'étranger sur les lieux de production dans l'Empire russe, à Batoum (actuelle Géorgie) ou Bakou (actuel Azerbaïdjan) sont très prisés. Mais les postes de représentants en Turquie ou à Saïgon (Vietnam) sont également demandés, aussi bien par des Français que des Allemands, Belges, Néerlandais et Russes.

Certains employés partent puis reviennent par nécessité.

Candidature de [Pinichus] Melnikeff, Russe, pour un poste d’ouvrier à l’usine de Bakou, correspondance, 1904.
Candidature de P. Cokino, Belge, pour un poste dans une raffinerie en Russie, correspondance, 1908.

 

Candidature de Gaston Blanchot, Français, pour un poste de représentant commercial à Saïgon (Vietnam) pour le compte de la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire, correspondance, 1906.

 

 

 

Les effectifs du siège parisien de la société ne sont pas connus. Cependant, grâce aux listes du personnel, on sait que 296 personnes étaient employées en 1904 pour la section de Batoum. On y dénombre des agents dont les noms évoquent différentes origines (germanique, française, grecque, italienne et turque), occupant tout type de poste, à l’usine (directeur, ingénieur, chargé d’unité, magasinier) ou au comptoir en ville (employé de bureau, comptable, agent en douane).

Liste du personnel de la section de Batoum de la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire, 1904.

 

Ces listes mentionnent aussi les appointements, c’est-à-dire les salaires, dont le montant mensuel varie de 7 roubles pour un garçon de laboratoire, à 450 roubles pour le responsable de site, et jusqu’à 583 roubles pour le directeur. Il ne semble pas y avoir de différence de salaire entre le personnel autochtone et les agents étrangers, bien que les rapports des ingénieurs indiquent que « les Géorgiens sont plus rapides que les Russes et les Turcs ».

Au fil des archives, des carrières se dessinent, telle celle d’A. Vigneron, d’abord chef d’un atelier puis responsable de tous les ateliers de l’usine de Batoum.

Demande d’augmentation d’A. Vigneron, chef des ateliers de l’usine de Batoum, lettre, 30 septembre 1908.

 

Les listes du personnel indiquent aussi quels sont les agents qui bénéficient d’un logement à l’usine et ceux qui sont logés en ville et perçoivent des indemnités de logement.

Vue extérieure d’un logement pour le personnel au sein de l’usine de la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire, tirage photographique noir et blanc, 1896.


Le devenir de quelques-uns de ces employés étrangers se lit dans les listes des personnes recevant des indemnités de la société et la correspondance reçue du personnel. Certains ont été blessés au service, congédiés ou encore blessés ou tués pendant de violentes grèves liées à des revendications salariales et d’amélioration des conditions de travail (vols violents, attentats à la bombe, assassinats).

Listes des pensionnés de la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire, 1908.

 


En 1912, à la suite de ces mouvements de grèves, la banque Rothschild Frères revendra la Société commerciale et industrielle de Naphte Caspienne et de la Mer Noire à la Royal Dutch Petroleum Company (Shell).

 

 

Sources

Archives nationales du monde du travail
Rothschild Frères, 132 AQ

 

Bibliographie

BERGERON Louis, Les Rothschild et les autres : la gloire des banquiers, Paris, Perrin, 1990. BOUVIER Jean, Les Rothschild, Paris, Fayard, 1967. [cote ANMT : H 1596]

BOUVIER Jean, Les Rothschild. Histoire d’un capitalisme familial, Paris, Complexe, 1992. [cote ANMT : H 1596]

COLLARD Claude et ASPEY Melanie, Les Rothschild en France au XIXe  siècle : [exposition présentée par la Bibliothèque Nationale de France, Paris, sur le site Richelieu, galerie Mansart, du 20 novembre 2012 au 10 février 2013], Paris, Bibliothèque nationale de France, 2012. [cote ANMT : H 7230]

FERGUSON Niall, The world’s banker : the history of the House of Rothschild, London, Weidenfeld et Nicolson, cop. 1998. [cote ANMT : H 3317]

GILLE Bertrand, Histoire de la maison Rothschild, Genève, Droz, Paris, Minard, 1965.

GILLE Bertrand, Histoire de la maison Rothschild, Tome II (1848-1870), Genève, Droz, 1967. [cote ANMT : H 0261]

GIRAULT René, Emprunts russes et investissements français en Russie, Vincennes, Institut de la gestion publique et du développement économique, 1999.

JALOUSTRE Pierre, Les Rothschild et le pétrole russe : 1883-1912, Lille, mémoire de Master 2 de l’université de Lille, 2005.

The Rothschild Archive (revue), Londres, Rothschild Archive Trust, 1999. [cote ANMT : SP 44]

 

Sitographie

https://www.rothschildarchive.org/

 

 

 

 

 

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