Les mineurs sont recrutés sur place, au Maroc, par Félix Mora. Après 4 jours à l’Office National Français de l’Immigration à Casablanca et un voyage en avion jusqu’à l’aéroport de Lille, ils sont accueillis en France au Centre d’accueil de Noyelles-sous-Lens.  ANMT HP 338, Relais, « Le bassin minier du Nord Pas-de-Calais de 46 à 90 à travers les journaux d'entreprise », n°141, janvier 1982.

Les mineurs marocains face à la fermeture des mines

2024 - Travail et migrations

En 2024, les ANMT s'emparent de la thématique "Travail et migrations" en lien avec leur programmation culturelle du second semestre.

Quels sont les liens entre industrie et flux migratoires ? Qui est à l'initiative du départ ? Comment les travailleurs venus d'ailleurs vivent-ils et sont-ils perçus par la population locale ? Quels sont les secteurs les plus demandeurs de cette main d’œuvre ? Quel impact sur les cultures professionnelles ? Tout au long de l'année, nos dossiers ou documents du mois questionnent les liens entre migrations et travail.

 

Photographie extraite de l'article « Le bassin minier du Nord Pas-de-Calais de 46 à 90 à travers les journaux d'entreprise » in Relais, n°141, janvier 1982.

 

Le 2 octobre 1987, l’exploitation du puits 3 de la mine de Courrières s’arrête. Les mineurs de fond, majoritairement marocains, réclament la mise en application de droits obtenus sept ans auparavant. Ils demandent aussi une meilleure prise en charge de leur avenir face à l’annonce de la fermeture progressive des Charbonnages de France, dont les Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais sont les premières menacées.

Illustration de la Banque nationale pour le commerce et l'industrie représentant le nord de l'Afrique.

 

1980, l’obtention du statut du mineur

Depuis les années 1960, des milliers d’hommes ont été recrutés au Maroc afin de compenser le manque de main-d’œuvre française, désintéressée par les mines en crise. Or, les mineurs marocains ne bénéficient que d’un contrat de 18 mois aux Houillères. Si ce contrat est renouvelable, il est fragmenté de 4 mois de congés obligatoires durant lesquels l’ouvrier retourne au pays et est effacé des registres de l’entreprise.

Face à une telle précarité, les premières protestations naissent dans les Houillères du Bassin de Lorraine en octobre 1980. Très vite, la grève s’étend jusqu’aux Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC), où l’on ne dénombre pas moins de 1 2000 grévistes, tous Marocains.

La principale revendication des grévistes porte sur l’obtention du statut du mineur, dont jouit la main-d’œuvre française depuis 1946. Ce statut a pour principaux avantages de garantir la pérennité du contrat d’embauche, la gratuité du logement, du chauffage et des soins médicaux. En obtenant ce statut, les mineurs marocains pourraient rester en France, garder leur poste, et leurs familles restées au Maroc pourraient venir s’installer auprès d’eux.

Statut du mineur, édition de 1981, trois images de texte.

 

Cette grève d’un mois aboutit à l’obtention du statut du mineur pour les ouvriers marocains, marquant un tournant dans leur histoire : ils peuvent désormais espérer la pérennité de leur emploi, bénéficier des mêmes avantages en nature que leurs collègues de travail et accueillir leurs familles en France.

 

Octobre 1987, s’unir face à la fermeture des Houillères

La grève de 1987 suit l’annonce de la fermeture du puits 3 de Courrières, prévue pour le 31 décembre de la même année. La clôture du puits s’inscrit dans le cadre du Plan Pache, prévoyant la fermeture totale des Houillères pour les années 1990-1991.

Photographie en noir et blanc de deux chevalements à la mine de Courrières. Des rails sont visibles au premier plan.

 

Le 1er octobre 1987, la Confédération générale du travail (CGT) appelle à un arrêt de travail partiel pour sa « journée d’action » nationale interprofessionnelle. Le lendemain, l’entrée du puits 3 de Courrières se trouve bloquée par « un piquet de grève composé de militants de la CGT, d’ouvriers marocains et de personnes extérieures à l’entreprise » d’après un rapport de la direction du personnel.

Dès le 5 octobre, le mouvement s’étend à l’ensemble des puits des HBNPC. D’après les journaux, la grève mobilise surtout les mineurs marocains, soit la moitié des ouvriers de fond. Les rapports de la direction du personnel mentionnent toutefois quelques « incidents sans gravité » entre ouvriers marocains et français.

 

"Situation sociale dans les bassins", rapport de la direction d'octobre 1987.
"Situation sociale dans les bassins", rapport de la direction d'octobre 1987.
"Situation sociale dans les bassins", rapport de la direction de décembre 1987.

 

Malgré une incursion de 200 mineurs marocains au siège des HBNPC, la grève est décrite par la presse régionale comme « passive et silencieuse ».

Si le travail reprend progressivement dès le 12 octobre, la grève ne se termine qu’au mois de décembre après un accord au goût amer pour la main-d’œuvre étrangère.

 

Un sentiment d'abandon

Dans les faits, le Plan Pache se traduit par l’obligation de reconversion pour tous les mineurs de moins de 15 ou 20 ans d’ancienneté. Les Marocains étant les plus récemment arrivés dans l’entreprise, ils sont tous menacés par ce plan. La pérennité de l’emploi promise en 1980 est alors obsolète.

Si les Charbonnages de France maintiennent provisoirement les postes les plus anciens et promettent des formations et offres d’emploi pour les autres, le fort taux de chômage (à environ 13 %) n’est pas sans inquiéter les ouvriers. Certains de ces mineurs sont analphabètes et/ou âgés. Ils ne connaissent que le métier de mineur : la reconversion leur semble impossible.

En solution alternative, l’entreprise propose à la main-d’œuvre marocaine de l’aide pour retourner au pays en prenant en charge le billet de retour et en proposant une aide à la reconversion une fois au Maroc. Or, ces ouvriers sont installés en France depuis des décennies avec leurs familles, leurs enfants étant scolarisés voire nés dans le pays. Le retour au Maroc semble donc tout aussi impossible que la reconversion. Au cours des 8 premiers mois de 1987, seulement une trentaine d’ouvriers ont choisi le retour au pays.

C’est donc un sentiment d’abandon et une perte de confiance qui plane sur les Houillères en 1987.

 

Ignorant le sentiment d’abandon de la main-d’œuvre marocaine, les HBNPC restent intransigeantes. D’après une lettre de la direction générale, si le mineur ne répond pas à cet ultimatum avant le 31 décembre, l’entreprise estime qu’il fera « affaire personnelle » de sa situation et le prive alors des aides à la reconversion, ainsi que des aides financières et matérielles pour retourner au Maroc.

Modèle de lettre à l’attention des mineurs marocains n’ayant pas fait leur choix entre le retour au pays et la reconversion (12 novembre 1987). Une feuille de texte sans couleur et signée par le directeur général J. Verlaine.

 

Sans emploi et sans encadrement par les Houillères, l’ouvrier marocain n’ayant connu que la mine en France se retrouve seul, tandis que les Charbonnages de France ferment définitivement leurs portes en 2007.
Ainsi, si les mineurs marocains représentaient une main-d’œuvre essentielle pour la productivité des HBNPC, ils n’en n’étaient pas moins un effectif facile à renvoyer dans le contexte de la fermeture de l’exploitation minière. Malgré leurs combats pour l’obtention de leurs droits, ils ont finalement été contraints de se reconvertir à un âge avancé, ou de rentrer au pays après avoir passé la moitié de leur vie en France.

 

Sources

Archives nationales du monde du travail, photographie extraite du magazine Relais, « Le bassin minier du Nord Pas-de-Calais de 46 à 90 à travers les journaux d'entreprise », n°141, janvier 1982 – BIB HP 338.

Archives nationales du monde du travail, Charbonnages de France : service communication, photothèque, chevalements du 3 de Courrières (1972) – 2007 9 232.

Archives nationales du monde du travail, La BNCI au Maroc, carte (1940) – PI 62 2.

Archives nationales du monde du travail, Charbonnages de France : échelon central, statut du mineur édition 1981 – 2002 56 777.

Archives nationales du monde du travail, Charbonnages de France : échelon central, rapports de la direction du personnel et lettre adressée aux mineurs marocains (1987) – 2002 56 1216.

Archives nationales du monde du travail, Charbonnages de France : service communication-vidéothèque, reportage TF1 sur la grève des mineurs marocains aux HBNPC (1987) – 2007 2 280.

 

Bibliographie

EL BAZ Ali, « Le combat sans fin des mineurs marocains », Plein droit, (n° 81), 2009/2, p. 35-38.

EL HARIRI A., Les Marocains dans les Houillères du Nord-Pas-de-Calais et leurs relations avec le pays d’origine. (Fermeture des mines, retours et réinsertion au pays), 1994.

FRACKOWIAK R., « Les mineurs marocains dans le Nord-Pas-de-Calais », Mineurs immigrés. Histoire, témoignages XIXe, XXe siècles, Montreuil, Institut d’histoire sociale minière, 2000, pp. 209-212.

HERZLICH G., « La grève des mineurs des Houillères du Nord. Ces Marocains qu’on a fait venir », Mineurs immigrés. Histoire, témoignages XIXe, XXe siècles, Montreuil, Institut d’histoire sociale minière, 2000, pp. 213-217.

KOURDICH O., « Les processus de recrutement des mineurs marocains de M. Mora », Mineurs immigrés. Histoire, témoignages XIXe, XXe siècles, Montreuil, Institut d’histoire sociale minière, 2000, pp. 201-208.

 

Pour aller plus loin

"Au fond de la mine", LSD : la série documentaire, France culture, 2023 [En ligne].

"Du bled au terril : les mineurs marocains du Nord de la France", Affaires sensibles, France inter, 2023 [En ligne].

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