« Attention, danger ! » : industrie textile, industrie périlleuse ?
En 2022, les Archives nationales du monde du travail rejoignent la programmation de la ville de Roubaix autour de la thématique « Textiles du monde ».
Si l’industrie textile a laissé son empreinte sur ses grandes cités françaises, elle a aussi marqué la vie de ses travailleurs et travailleuses, fait prospérer des dynasties familiales ou encore permis l’émergence de marques de vêtements restées célèbres.
Chaque mois, les ANMT vous proposent un voyage dans le temps et dans l’univers textile, pour mieux comprendre nos mondes d’aujourd’hui !
Omniprésentes dans les villes industrialisées du nord de France, les filatures de lin et de coton sont réputées particulièrement dangereuses sous le Second Empire (1852-1870).
L’industrie textile, au même titre que les autres secteurs industriels, est fortement touchée par les accidents du travail. Les machines sont dangereuses, puissantes et difficiles à maîtriser. La division voire sous-division du travail accroît certes la productivité mais aussi la fatigue et l’aliénation des ouvriers et ouvrières.
Un accident est si vite arrivé …
L’attention baisse, l’accident arrive vite, d’autant que l’atmosphère chargée en humidité, poussière et bruits assourdissants n’aide évidemment pas à la concentration. De plus, les journées de travail sont longues, de dix à quatorze heures. Il faudra attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour que soit ratifiée une « loi des huit heures » en France.
Au XIXe siècle, la configuration des usines n’aide pas : rien n’est prévu pour la circulation en sécurité des ouvriers. Ils doivent passer sous les machines pour rejoindre leurs postes de travail, parfois en rampant. Se relever trop tôt, c’est l’accident mortel assuré.
Par ailleurs, la machine à vapeur elle-même peut se révéler dangereuse et instable. Ainsi en 1856, l’explosion de la chaudière de la filature Verstraete à Lille provoquera cinq morts, dont l’un sera retrouvé sur le toit d’une maison à plus de cent mètres de là. L’accident s’étant produit peu avant la prise de poste de la majorité des 200 ouvriers, son bilan aurait pu s’avérer bien plus terrible.
Le scalp
Mot anglais désignant le cuir chevelu, ce terme est utilisé pour décrire le résultat d’une scalpation c’est-à-dire l’arrachement de tout ou partie du cuir chevelu. D’abord pratique guerrière utilisée en Amérique par les natifs américains puis les colons britanniques, le scalp en vient à désigner un type d’accident industriel : l’arrachement du cuir chevelu lorsque les cheveux sont happés par une machine. Cet accident peut occasionner une grande perte de sang ainsi qu’une perte définitive du cuir chevelu.
… quand rien n’est fait pour l’éviter
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, la prévention est rarissime dans le secteur industriel. En effet, la main-d’œuvre est abondante et peut facilement être remplacée en cas d’accident. L’encadrement légal fait largement défaut : aucune responsabilité ne pèse sur les propriétaires d’usine en matière de sécurité de leurs employés. Lorsqu’un accident survient, la faute en est imputée aux ouvriers accusés d’être distraits et inattentifs.
Dans les faits, les ouvriers, mal renseignés sur les risques, sont parfois téméraires dans leurs gestes de travail. La fatigue face à un rythme de travail infernal, la pression d’une hiérarchie qui impose une productivité intensive et les conditions d’existence difficiles rendent les ouvriers fatalistes. C’est ainsi qu’on nettoie généralement les machines sans les arrêter pour gagner du temps. Les accidents du travail les plus fréquents portent sur les membres (doigts, mains, bras arrachés ou écrasés). Les cardeuses ou peigneuses, machines généralement manipulées par les femmes et les enfants, provoquent des accidents extrêmement violents.
Ce n’est qu’en 1893, qu’une loi « relative à l’hygiène et la sécurité des travailleurs » instaure de premières mesures contre les accidents du travail ainsi que les maladies professionnelles.
Légiférer pour le progrès social
Adoptée en 1898, la loi concernant les responsabilités dans les accidents du travail change profondément les rapports entre main-d’œuvre et patronat. Ainsi, la charge de responsabilité est renversée : c’est l’employeur qui est désigné responsable par défaut de l’accident et doit prendre à sa charge l’indemnité versée à la victime. C’est pour éviter de voir se multiplier les indemnités à verser à des ouvriers devenus improductifs que les propriétaires d’usine commencent alors à s’intéresser à la prévention des risques professionnels.
L’un des principaux vecteurs de prévention est l’affichage : par l’image, on fait passer des messages simples qui ont bien plus d’impact que de longs règlements et sont aussi accessibles aux ouvriers qui ne maîtrisent pas la langue française.
La loi du 22 mai 1946 qui fonde la sécurité sociale intègre immédiatement des mesures sur l’indemnisation des accidents de travail et des maladies professionnelles. Un an plus tard, une loi impose aux établissements de plus de 50 salariés de se doter d’un Comité d’hygiène et de sécurité (CHS) pour prévenir les risques.
Dans l’industrie textile, où de nombreuses blessures sont provoquées par de mauvaises postures ou des gestes dangereux, le développement de l’ergonomie est un véritable facteur de réduction de la dangerosité après la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, l’usine Phildar de Roubaix (Nord) fait appel à un ergonome en 1977 pour créer des postes de travail moins fatigants pour ses ouvrières et se dote de nouvelles machines moins dangereuses.
Par ailleurs, suite à la loi du 11 octobre 1946 relative à l’organisation des services médicaux du travail, la médecine du travail se voit confier un rôle de prévention contre les accidents du travail et se généralise dans les entreprises.
L’association interprofessionnelle Nord de France (AINF) a déposé aux ANMT 932 affiches de prévention sur les risques au travail (1958-1992). Les archives de la filature Delebart-Mallet située à Loos, Hellemmes et Douai (Nord) documentent la gestion du personnel, le patrimoine immobilier et la production de cette entreprise (1942-1992). La collection des pièces isolées est classée par typologies : pièces isolées sur supports papiers, iconographiques ou encore audiovisuels. Les archives du Syndicat patronal textile de Fourmies et du Cambrésis ont été acquises par les ANMT en 1995. On y trouve plusieurs ensembles relevant d’organisations patronales liées au secteur textile. Les archives du Syndicat des fabricants de toiles d'Armentières (SFTA) et du Syndicat patronal du textile d'Armentières (SPTA) comprennent les archives du Syndicat des fabricants de toile d'Armentières, du Syndicat patronal du textile d'Armentières, du Comité d'entente des syndicats patronaux, ainsi que les fonds de divers organismes sociaux. Les archives du peignage Morel renferment une belle collection de plans techniques et de brevets des différentes machines conçues par et pour les établissements Morel, notamment pour l'échardonnage aux cardes à laine. Les documents témoignent de l'utilisation de ces systèmes dans d'autres usines textiles roubaisiennes. Les archives du groupement d'ergonomie de la région Nord (GERN) concernent les formations dispensées par cette association, ses études et enquêtes réalisées au sein des entreprises et des institutions, ses réunions. Le fonds comporte aussi de la documentation, des dossiers de presse et quelques photographies. |
Bibliographie et ressources
Boisselier Jackie, Naissance et évolution de l’idée de prévention des risques professionnels : petite histoire de la réglementation en hygiène, en sécurité et en conditions de travail, Institut national de recherche et de sécurité, 2004, ANMT H 10126.
Bosman Françoise (dir.), Usine à mémoires : les Archives nationales du monde du travail, 2008, ANMT H 6321
Boulin Jean-Yves, Cette Gilbert et Dominique Taddei, Le temps de travail, 1993.
Pierrard Pierre, La vie ouvrière à Lille sous le Second Empire, 1965, ANMT H 5422