La guerre de 1870 : un désastre économique et social ?
Notre thématique de l’année 2023 sera celle de la grande exposition « Travailler en temps de guerre » présentée du 26 mai 2023 au 4 mai 2024 aux Archives nationales du monde du travail.
Comment les conflits armés changent-ils les modes d’organisation du travail ? Quels sont les impacts sur les vies, les corps et les esprits des travailleurs ? Tout au long de l’année, nos dossiers ou documents du mois prolongeront l’exposition en interrogeant les liens entre guerre et travail.
Au milieu du XIXe siècle, le ministre-président prussien Otto von Bismark multiplie les victoires militaires pour réunir toutes les populations allemandes en un seul état-nation : l’empire allemand. Ce processus s’achève en 1871 avec une victoire écrasante contre la France qui a sacrifié sa stabilité et son économie dans la bataille.
Une impréparation fatale du côté français
Le retard français sur le plan militaire est prégnant. Moins de soldats sont mobilisés, et plus lentement : 280 000 Français s’opposent à 500 000 Allemands – les Prussiens étant alliés aux autres États allemands. La Prusse dispose de deux fois plus de canons (2 000 contre 1 000 pour la France).
Trochu contre Krupp, Chassepot contre Dreyse
Le canon Krupp (C/64 de 4 livres), utilisé par l’armée allemande et fabriqué par l’industriel du même nom, était plus performant que le canon français Trochu M67. Les obus allemands explosaient à l’impact (ils étaient dits « percutants »), contrairement aux obus français qui explosaient en l’air. A contrario, le fusil Chassepot Modèle 1866 qui armait les soldats français avait une plus grande portée et une meilleure précision que son concurrent prussien le fusil Dreyse.
Napoléon III est fait prisonnier à Sedan le 1er septembre 1870. Dès le 4 septembre, la République est proclamée. Les troupes allemandes arrivent à Paris le 17 septembre : le siège de la capitale durera jusqu’au 26 janvier 1871.
Les effets sur les acteurs économiques : l’exemple de la métallurgie lorraine
Le conflit s’accompagne d’une désorganisation économique, en particulier à l’est où les entreprises étaient en première ligne mais aussi en partie dépendantes de l’économie allemande. Ainsi, la société Wendel (Hayange, Moselle) compte parmi ses 9 300 ouvriers des Prussiens installés en France. Elle dépend du charbon de Sarre, dont les trains ne franchissent plus la frontière avant même le début de la guerre. Le travail est ensuite ralenti par l’engagement des ouvriers dans l’armée.
À Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), autre pôle métallurgique majeur, l’activité des fonderies est arrêtée. Les ouvriers, désœuvrés, coupent dans les forêts du bois qu’ils vendent pour avoir quelque argent ou volent des pommes de terre dans les champs.
La mobilisation du chemin de fer et de l’industrie
Le réseau ferré français s’est énormément développé pendant le Second Empire : il passe de 3 000 km à 17 000 km. Le transport de troupes en bénéficie : les compagnies ferroviaires, déjà sollicitées lors des précédentes guerres de Napoléon III, vont être rapidement mises à partie en 1870, avec des conséquences sur leur organisation et leurs revenus.
Elles vont de plus souffrir des destructions et réquisitions qui accompagnent l’arrivée des troupes ennemies. Des ponts sont détruits des deux côtés pour entraver l’avancée de l’adversaire, ce qui perturbe le trafic ferroviaire.
En plus des fonderies militaires, des entreprises privées soutiennent l’effort de guerre : Fives-Lille (Nord) produit des fusils et des obus, l’entreprise parisienne Cail construit des canons et trois-cent moulins approvisionnent Paris assiégé.
L’équipement industriel sera aussi utilisé par les Allemands. Après s’être assuré de la maîtrise du territoire envahi, ils y déportent certaines activités liées directement à la guerre : ils assemblent par exemple des canons directement en France, à Meudon, Boulogne et Saint-Cloud.
Financer la guerre… et la défaite : le rôle des banques
Le Gouvernement de la défense nationale, qui succède en France au Second Empire, emprunte auprès de diverses banques pour financer la guerre.
On retrouve également les banques dans le règlement des indemnités dues à la Prusse à la suite de l’armistice du 28 janvier 1871 (200 millions de francs) et du traité de Francfort du 10 mai 1870 qui impose un tribut de 5 milliards de franc-or, somme très importante pour l’époque, financé par plusieurs emprunts à diverses banques. Une grande partie du territoire français fut occupée jusqu’en septembre 1873, date du paiement de l’intégralité du montant des indemnités.
Dans le même temps, les banques souffrent de dommages collatéraux : le Crédit foncier de France, lors de son conseil d’administration du 2 septembre 1870 déplore une « proportion inusitée » de retraits de fonds. Des déplacements de personnes et de documents entravent le fonctionnement des établissements bancaires pendant le siège de Paris.
La crise sociale : la Commune de Paris
Lors de l’éclatement du conflit, la population ouvrière parisienne est en forte croissance : en 1866, 57 % des Parisiens vivent du travail industriel. Un mouvement ouvrier de plus en plus puissant virulent se forme, accentué en 1864 par la reconnaissance du droit de grève.
Cette population souffre énormément du siège de Paris. Elle réclame des succès militaires et se montre déçue par la signature de l’armistice le 28 janvier 1871. La République, appuyée par une assemblée fortement royaliste élue par une population majoritairement rurale, est accusée de trahison.
Le pouvoir exécutif décide en mars 1871 de désarmer Paris, mais les soldats pactisent avec la population. Le conseil communal élu et à majorité révolutionnaire prend le nom de « Commune de Paris » et adopte des mesures sociales : moratoire des effets de commerce et des loyers, abolition des amendes et retenues sur les salaires, adoption de la journée de dix heures. La Commune de Paris s’achèvera en mai 1871 dans une répression sanglante où 20 000 à 30 000 Parisiens furent tués.
De lourdes conséquences économiques
L’Alsace et la Moselle annexées à l’Allemagne étaient des régions industrialisées, prospères et fortement peuplées (2 millions d’habitants) : leur perte, entre autres conséquences, ampute le PIB français de 20 %.
Les conséquences sur les finances publiques sont catastrophiques : le Gouvernement emprunte pour payer l’indemnité exigée par l’Allemagne. La dette publique passe de 55 % du PIB en 1869 à plus de 115 % en 1880. Or au-delà de 90 %, on considère généralement qu’elle entrave la croissance économique.
La défaite en elle-même aura coûté un quart du PIB, dans un contexte mondial déjà en pleine crise bancaire dite « longue stagnation » (1873-1897), provoquée entre autres par l’injection massive de monnaie dans le système bancaire allemand. Le ratio d’endettement public ne commencera à refluer en France qu’en 1895 : ce sera la « Belle époque ».
La création du Souvenir français
Le traumatisme de la guerre de 1870 fut à l’origine d’une prise de conscience mémorielle qui s’est manifestée en 1887 avec la création du Souvenir français. Cette association fut en particulier à l’origine des premiers monuments aux morts sur le territoire.
L’annexion de l’Alsace et de la Moselle
La nouvelle frontière fut tracée avec l’intention d’annexer de potentiels gisements de fer exploitables. L’Empire allemand s’est vite emparé du potentiel économique de la région. La production de fonte à Hayange, en territoire annexé, augmente fortement. En 1904, Hayange tenait même le quatrième rang parmi les adhérents du Stahlwerksverband, un cartel allemand de la métallurgie.
La Compagnie des chemins de fer de l’est voit son réseau amputé de 862 km de ligne, mais garde son matériel roulant. De plus, le réseau est vendu et non annexé. Là encore, l’Empire allemand va fortement développer le réseau en le portant à plus de 1 800 km. Cela posera des soucis techniques lors de sa restitution à la France en 1918.
L’annexion provoqua une vague d’émigration d’Alsaciens et de Lorrains, notamment vers l’Algérie (environ 5 000 personnes) ou en Amérique (Argentine, Quebec). En tout, 8,3 % de la population quitte l’Alsace. Des relocalisations industrielles ont lieu, telle l’entreprise textile Blin qui quitte Bischwiller (Bas-Rhin) et s’installe à Elbeuf (Seine-Maritime).
D’autres entreprises, pourtant françaises et non-annexées, subiront la germanophobie en raison de leur nom : à Pont-à-Mousson, la raison sociale « Haldy Roechling et Cie » change de nom en 1886 ; sa sonorité germanique était vu comme un obstacle aux affaires ...
Bibliographie et ressources :
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« Deux siècles de métallurgie du fer. Monographie du développement de la Maison de Wendel, 1704-1927 », 1927. ANMT 182 AQ 7
Les archives de l’administrateur de sociétés minières Léon Belugou reflètent son activité en Indochine ainsi qu’une partie de sa vie privée notamment ses voyages. La collection des pièces isolées iconographiques contient une série de photographies de l’entreprise Schneider & cie entre 1868 et 1919. La collection de documentation imprimée sur les sociétés (partie 1, 2 et 3) rassemble des documents publiés par les entreprises françaises ou agissant en France entre 1850 et 1980. Le fonds « musée du chemin de fer » est constitué à partir de documents de différentes compagnies de chemin de fer, probablement rassemblés par des documentalistes de la revue « La vie du rail ». La collection des pièces isolées papier contient les archives de la famille Copin de Miribel et documente les activités de cette famille dans le domaine de l’artillerie Les archives de la banque Neuflize et leur complément documentent l’activité de cette entreprise de 1800 jusqu’à 1945. Rolande Trempé est une universitaire et historienne des mines, elle a confié aux ANMT sa documentation. Loisirs et Culture est l’association du comité d’entreprise de la Régie nationales des usines Renault. Ses archives documentent ses nombreuses activités mises en place pour animer les temps de pauses des employés de Renault. Les archives des établissements J. Danset documentent l’activité de cette entreprise spécialisée dans les matériaux et la menuiserie. Les archives des compagnies des chemins de fer de l’Est, du Nord et de Paris à Orléans (et anciennes compagnies absorbées, dont Régie d'Aubin) documentent l’activité de ces réseaux ferroviaires. |