Cortège de grévistes de La Redoute : photographie, mars 1995. ANMT 2019 5 7 - Maria Pi, employée à La Redoute et syndicaliste à la Confédération française démocratique du travail-Vente par correspondance (CFDT-VPC), et à Solidaires, Unitaires, Démocratiques-Vente par correspondance (SUD-VPC).

Tisser les luttes sociales : le syndicalisme dans l’industrie textile

2022 - Textiles du monde

En 2022, les Archives nationales du monde du travail rejoignent la programmation de la ville de Roubaix autour de la thématique « Textiles du monde ».
Si l’industrie textile a laissé son empreinte sur ses grandes cités françaises, elle a aussi marqué la vie de ses travailleurs et travailleuses, fait prospérer des dynasties familiales ou encore permis l’émergence de marques de vêtements restées célèbres.
Chaque mois, les ANMT vous proposent un voyage dans le temps et dans l’univers textile, pour mieux comprendre nos mondes d’aujourd’hui !

Cortège de grévistes de La Redoute : photographie, mars 1995.

 

Avant l’industrialisation des grandes villes françaises façonnées par l’activité textile, la dispersion des artisans de ce secteur ne favorise pas les échanges autour de leurs conditions de travail. Sous l’influence du paternalisme social, ce sont d’abord les organisations patronales de l’industrie textile qui s’emparent de certaines questions sociales avant que les syndicats de salariés ne prennent le relais.

Des formes d’associations ouvrières dispersées mais dynamiques…

Avant la Révolution française et jusqu’à la constitution de grandes villes du textile au début du XIXe siècle, les ouvriers de ce secteur sont dispersés sur le territoire français et cumulent généralement plusieurs activités. Dans une large mesure, la main -d’œuvre employée dans l’industrie textile est féminine et peu payée, mais il existe aussi des secteurs spécialisés dans lesquels les artisans jouissent de plus de reconnaissance et sont mieux organisés.

Groupe de décoconneurs au travail : carte postale, sans date, Saint-Étienne-Vallée-Française (Lozère).

 

Difficile de ne pas penser à l’exemple des canuts lyonnais dont les soulèvements en 1831 et 1834 marquent un tournant dans l’histoire des luttes sociales du XIXe siècle. Le 20 novembre 1831, l’association mutuelle des chefs d’atelier de soierie décide d’une grève générale afin d’obliger les fabricants à respecter les tarifs fixés quelques semaines plus tôt. L’insurrection est réprimée de manière très violente par la garde nationale et l’armée et entraîne la mort de 200 personnes, civils et militaires. Si les causes de ce soulèvement sont à la fois politiques et économiques, la révolte des canuts de Lyon témoigne d’une discipline et d’une organisation importantes chez les insurgés qui ont bénéficié des cadres du mutualisme naissant dans ce secteur d’activité.

Anonyme, Les évènements de Lyon, 22 novembre 1831. Combat du Pont Morand, gravure sur cuivre, In-4°.

 

Ces premières formes d’associations professionnelles dans le secteur textile sont très organisées et permettent aux ouvriers qui les constituent de faire entendre leurs revendications mais surtout de se réunir pour défendre leurs intérêts et bénéficier d’une certaine protection sociale.

…. aux puissantes organisations patronales des bassins textiles

L’activité textile a favorisé l’industrialisation précoce de certaines villes dès la première moitié du XIXe siècle en concentrant non seulement les usines mais également les populations ouvrières du secteur. Rapidement, les grands industriels du textile se réunissent pour défendre leurs intérêts économiques mais aussi pour s’intéresser aux enjeux sociaux que posent ces nouvelles organisations urbaines. Ainsi naissent des associations d’industriels avant même que la loi n’autorise ses regroupements. Pour rappel, la loi Waldeck-Rousseau autorisant la création des syndicats n’est promulguée qu’en 1884. C’est le cas par exemple de la Société de commerce et d’industrie lainière de la région de Fourmies (appelée plus tard Société industrielle de la région de Fourmies) qui est créée en 1874 pour assurer le développement de l’industrie textile à Fourmies et débattre de certaines questions sociales.

Recensement général du nombre de bénéficiaires des allocations familiales, 1935.

 

Dans les grandes villes du textile, les organisations patronales vont s’intéresser aux conditions de vie des ouvriers. Cet intérêt pour le sort des populations ouvrières, désigné par le terme de paternalisme social, est complexe. Si l’aspect philanthropique existe certainement, l’objectif premier est surtout d’encadrer les populations ouvrières pour mieux les surveiller. Dans ce but, les organisations patronales mettent en place des structures permettant à la fois de protéger, d’éduquer et de loger les ouvriers.

Écoles spécialisées dans l’industrie textile : plaquette de présentation, 1929.

 

L’une des particularités des organisations patronales du secteur textile dans la première moitié du XXe est la création des premières caisses de compensation d’allocations familiales tel que Familia ou le consortium de l’industrie textile de Roubaix-Tourcoing qui ont véritablement une vocation d’œuvres sociales. Cet aspect permettra aux organisations affiliées de faire face aux difficultés économiques et sociales des ouvriers du secteur notamment grâce au versement d’indemnités de grèves. Ce qui n’empêche pas que les syndicats se développent aussi de manière beaucoup plus professionnelle au sein des populations ouvrières.

Tract de la section CFDT La Redoute « Pas de fil à la patte !!! », 1988.

 

 

S’organiser pour mieux défendre ses conditions de travail.

Le regroupement des populations ouvrières dans les grandes villes du textile va favoriser leur organisation en structures associatives et syndicales dont le but est la mutualisation des moyens pour améliorer leurs conditions de travail.
La guerre de 1870 touche durement le secteur textile et les conséquences perdurent dans les décennies suivantes, entraînant des conflits sociaux majeurs dont témoignent les évènements de mai 1891 à Fourmies. Le 1er mai 1891, alors que des ouvriers manifestent pour l’obtention d’une journée de 8 heures, l’armée, mobilisée suite à la pression exercée par les grands industriels sur le préfet, tire sur la foule venue soutenir les grévistes et fait 9 morts.

Avis d'information au personnel, 30 avril 1891.

 

Cet évènement tragique entache durablement la IIIe République mais il marque aussi un tournant dans l’histoire du syndicalisme ouvrier. Après cette date, les grèves et les manifestations s’organisent de manière plus structurée et professionnelle au sein des syndicats ouvriers avec la création de caisses de solidarité, la publication de revues, l’organisation de meetings, etc.

Chambelland, M. "La grève du textile de Verviers," in La révolution prolétarienne, revue bi-mensuelle syndicaliste révolutionnaire, 25-04-1934, n°173.

 

La spécialisation de certains secteurs de l’industrie textile et la transformation des méthodes de vente vont également entrainer des spécificités au sein des syndicats ouvriers et des regroupements par métiers, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres secteurs économiques. Ainsi, des sections syndicales d’entreprise voient le jour dans nombre de grandes institutions telles que La Lainière, Phildar, les 3 Suisses ou encore La Redoute et vont jouer un rôle très important dans la défense des salariés face aux crises que connaît le secteur textile, en particulier à partir des années 1960. On peut souligner l’exemple du syndicat SUD-Vente par correspondance créé en 1999 qui rassemble les enseignes La Redoute, Damart et Vert Baudet et qui tente de faire face aux difficultés et aux conflits sociaux qui s’intensifient au sein de ce secteur en raison de nombreuses restructurations.

 

 

Les archives du Syndicat patronal textile d’Armentières documentent ses activités sociales de 1943 jusqu'aux années 1980.

Employé de l'industrie textile du Nord et militant syndical, le fonds d'André Dancoine regroupe ses archives syndicales et ses cours professionnels.

Les archives du Syndicat patronal textile de Fourmies et du Cambrésis ont été acquises par les ANMT en 1995. On y trouve plusieurs ensembles relevant d’organisations patronales liées au secteur textile.

Les archives de l'Union régionale textile CFDT Nord-Pas-de-Calais, puis Fédération Hacuitex (habillement-cuir-textile) documentent ses activités syndicales à destination des personnels des industries de l'habillement, du textile et du cuir sur une période allant de 1935 à 1994.

D'un volume de 20 mètres linéaires, le fonds du syndicat patronal textile du Nord de la France Texnord documente l'action sociale patronale à Roubaix-Tourcoing à partir des années 1920.

Les archives de Maria Pi documentent ses activités en tant qu'employée à La Redoute et syndicaliste à la Confédération française démocratique du travail-Vente par correspondance (CFDT-VPC), et à Solidaires, Unitaires, Démocratiques-Vente par correspondance (SUD-VPC).

La collection des pièces isolées rassemble les documents entrés par voie extraordinaire aux ANMT. On distingue les pièces isolées sur supports papiers, iconographiques ou encore audiovisuels.

 
Bibliographie indicative

DRON, Gustave. Procès-verbaux de la commission chargée de procéder à une enquête sur l’état de l’industrie textile et sur la condition des ouvriers tisseurs 8 . Paris : Imprimerie de la Chambre des députés Motteroz, 1906, 572 p.
DUMORTIER, Jacques. Le Syndicat patronal textile de Roubaix Tourcoing (1942-1972). Lille : Imprimerie Morel et Corduant, 1975, 287 p. ANMT 1995 67 265.
HARDY-HEMERY, Odette. L’envers d’une fusillade, Fourmies, 1 er mai 1891. Un patron face à la Grève. Paris : L’Harmattan (collection chemins de la mémoire), 1996, 201 p. ANMT H 1964.

 

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