Photographie du wagon ayant hébergé la signature du traité d'armistice du 11 novembre 1918. ANMT 2022 9 1946, CIWL.

Les Wagons-Lits : une compagnie internationale face aux guerres

2023 - Travailler en temps de guerre

Notre thématique de l’année 2023 sera celle de la grande exposition « Travailler en temps de guerre » présentée du 26 mai 2023 au 4 mai 2024 aux Archives nationales du monde du travail.
Comment les conflits armés changent-ils les modes d’organisation du travail ? Quels sont les impacts sur les vies, les corps et les esprits des travailleurs ? Tout au long de l’année, nos dossiers ou documents du mois prolongeront l’exposition en interrogeant les liens entre guerre et travail.

 

Signature de l’armistice du 11 novembre 1918. –Médaille commémorative : photographies noir et blanc, 1918.

 

Déjà en 1870, une guerre contrecarre les premiers efforts de Georges Nagelmackers pour créer une compagnie unique d’exploitation de wagons-lits sur le plan international. Ses projets aboutissent en 1876 avec la Compagnie internationale des wagons-lits (CIWL), devenue en 1886 « Compagnie internationale des wagons-lits et des grands express européens ». Cette entreprise décloisonne l’Europe en améliorant et en développant les liaisons entre les pays. Ce qui s’apparente à un monopole va cependant voler en éclat avec les deux guerres suivantes.

 

Première guerre mondiale : confiscations et réquisitions au service des belligérants

La CIWL, bien développée et exploitant des lignes mythiques comme l’Orient-Express et le Transsibérien, possède 1 737 véhicules, dont environ 250 en Russie. Son personnel s’élève à plus de 8 000 agents lorsque la première guerre mondiale éclate. La circulation de ses trains dans les zones sous contrôle direct de l’Allemagne ou de l’Autriche s’en trouve fortement perturbée et même suspendue.

Perturbation du trafic : correspondance de la division de Bruxelles relative à la confiscation de voitures par l’armée allemande, août 1914.
Isolement de la direction générale à Paris : correspondance avec la division de  Budapest, mai 1915.

 

L’armée française réquisitionne les wagons de la CIWL sur « contrat de mise à disposition » pour le transport des troupes et le service de santé. Ainsi, c’est à bord d’une voiture de la CIWL que Lord Kitchener, ministre de la guerre du Royaume uni, arrive à Compiègne le 16 août 1915 pour rencontrer le général Joffre. Cette visite aboutit à un accord entre les deux états-majors pour envoyer en Serbie 64 000 soldats français et 86 000 anglais.

Contrat de mise à disposition de voitures à l’armée française, 1915.
Arrivée en gare de Lord Kitchener accueilli par le général Joffre sur le quai : photographie noir et blanc, 16 août 1915.

 

L’armée allemande réquisitionne de son côté voitures, matériels et denrées de la CIWL en Belgique.

Vins et alcools réquisitionnés en Belgique par l’armée allemande, 1915.

 

Mitropa contre CIWL

Le 24 novembre 1916, tous les biens de la CIWL sont saisis et une nouvelle compagnie concurrente est fondée : la « Mitteleuropaïsche Schlafwagen und Speiswagen Gesellschaft » en abrégé « Mitropa ». En projet depuis 1880, elle est destinée à assurer les relations ferroviaires en Europe centrale orientale et à réaliser la liaison avec Bagdad. Elle est censée à terme supplanter la CIWL dans toute l’Europe

La fin des hostilités, avec l’armistice du 11 novembre 1918, signé dans la voiture-restaurant n°2419 au cœur de la clairière de Rethondes en forêt de Compiègne, empêche la Mitropa de réaliser ses plans et permet à la CIWL de rétablir son fonctionnement international.

Signature de l’armistice du 11 novembre 1918. –Médaille commémorative : photographies noir et blanc, 1918.

 

La première guerre mondiale laisse des dommages importants à la compagnie, mais elle lève aussi des obstacles politiques majeurs. Ainsi, le démantèlement de l’Empire des Habsbourg et le nouvel État yougoslave permet le passage du train Simplon-Orient-Express dès le 15 avril 1919 entre Paris et Istanbul par Milan et Belgrade.

Mise en place du train Simplon-Orient-Express : convention, 22 août 1919.
Instructions réglant le Service du Train « Simplon-Orient-Express » : brochure, 1922.

 

De plus, le procès entre la Compagnie internationale des wagons-lits et la Mitropa se solde par la restitution de 35 wagons-lits et 25 wagons-restaurants et l’indemnisation de ses actions au sein de la Société allemande de Wagons-restaurants. Malgré ce verdict en faveur de la Compagnie des wagons-lits, la Mitropa subsiste et s’avère une véritable rivale. La Compagnie des wagons-lits doit lui abandonner en 1925 le transit de ses services internationaux à travers l’Allemagne et quelques relations internationales intéressant ce pays. Quant aux activités de la Compagnie des wagons-lits en Autriche, elles sont rétablies officiellement le 26 juillet 1920.

Procès au Tribunal arbitral mixte germano-belge à Genève. – Audience et décision : photographie noir et blanc (cliché Photographia Genève SA 4 rue Petitot à Genève), mai 1922.

 

Seconde guerre mondiale : le retour de la Mitropa et les WL Hôtels    

A la veille de la seconde guerre mondiale, la Compagnie des wagons-lits joue à nouveau dans le domaine des relations ferroviaires un rôle d’importance avec 1 738 voitures, qu’elle exploite dans 24 pays en Europe, 6 pays d’Afrique et 4 pays au Moyen-Orient.

Cependant, l’Anschluss la chasse d’Autriche dès mars 1938, puis de la Tchécoslovaquie, à son tour envahie. Les grands express internationaux n’existent plus, seules quelques voitures-lits circulent sur des trajets spécifiques, face à une Mitropa qui poursuit son objectif initial et s’étend partout. À partir de juin 1940 et jusqu’à la Libération, la CIWL est au ralenti dans les pays sous contrôle allemand. Les Allemands procèdent aussi à la réquisition et au pillage de ses véhicules et magasins, pour les employer soit en service commercial soit pour leur armée sur le front de l’Est. De plus, à la demande d’Hitler, l’armistice du 22 juin 1940 est à nouveau signé dans la voiture-restaurant n°2419 à Rethondes pour humilier la France, et par là même, la Compagnie internationale des wagons-lits.

En France, les Allemands implantent la Mitropa dès 1940. Afin de préserver ses voitures de la convoitise des Allemands, la CIWL accepte dès mars 1941 de transformer ses wagons-lits en hôtel à quai, à la demande de la SNCF et de la municipalité de Lyon, pour faire face à la difficulté du logement des voyageurs à la suite de la réquisition des hôtels et du surpeuplement de la ville. La compagnie y voit aussi un moyen de rendre service aux voyageurs et de donner du travail à son personnel. Peu à peu, fonctionnaires civils, militaires français, chantiers de jeunesse y sont logés. Ainsi, 58 000 personnes y sont hébergées en 1943, dont 30 000 pour Lyon, et des « WL Hôtels » sont aussi installés à Alger et Oran. Certaines de ces voitures sont même restées en exploitation après la Libération pour accueillir des équipes sportives.

Mise en des wagons-lits-hôtels à Lyon et à Limoges : accord, 1941.
Mise en des wagons-lits-hôtels à Lyon et à Limoges : plan, 1941.

 

Les employés de la CIWL dans la tourmente

Le personnel de la compagnie est quant à lui soit mobilisé, soit fait prisonnier, soit réquisitionné par l’Occupant, ou encore réduit au chômage partiel ou total faute d’activité. La compagnie est également privée de ses agents d’origine juive. La guerre a un impact sur le parcours professionnel des employés de la compagnie, comme en témoignent les dossiers de personnel.

Extrait du dossier de Camille Hawis, commis aux écritures au siège à Bruxelles, employé depuis 1931, au chômage en 1939 puis réintégré et déporté en 1943 au Service en Allemagne : fiches, correspondance, 1931-1943.
Extrait du dossier d’Elza Debru, commise aux écritures au siège à Bruxelles, employé depuis 1926, déportée en Allemagne d’octobre 1940 à 1945, puis réintégrée en 1946 et démissionnaire en 1948 : fiche, correspondance, 1926-1948.

 

Les archives du service du personnel documentent également les arrestations dont sont l’objet les agents de la compagnie, arbitraires ou sur dénonciation, pour vol, trafic de tickets de ravitaillement, de marchandises et denrées, ou pour transport de courrier. Certains agents sont même contrôlés et fouillés en service.

Arrestations et contrôles d’agents de la CIWL : correspondance, 1942.

 

Malgré ce contexte difficile, le service de la Compagnie des Wagons-lits n’est toutefois véritablement interrompu que pendant 8 jours, entre le 22 et le 30 août 1944. On compte 189 voitures disparues du territoire, dont 42 définitivement perdues à la Libération, sur les 400 perdues par la CIWL tous pays confondus (soit le quart de son parc). Un second procès contre la Mitropa s’ouvre, pendant lequel la CIWL tente en vain d’obtenir la liquidation de sa concurrente, arguant du fait qu’elle pouvait apporter par sa spécificité de compagnie unique sa contribution à la construction de l’Europe sur le plan international. La Mitropa cesse d’être un instrument politique et de combat.

 

Sources

Compagnie internationale des wagons-lits et des grands express européens et du tourisme, ANMT 2022 9.

 

Bibliographie

100e anniversaire de la Compagnie internationale des wagons-lits et du tourisme 1876-1976, Bruxelles, Compagnie internationale des wagons-lits, 1976.

COUDERT Gérard, KNEPPER Maurice, TOUSSIROT Pierre-Yves, La Compagnie des wagons-lits, Paris, La Vie du rail, 2009.

GRAVAYAT Eva, METTETAL Arthur, Orient-Express & CO. Archives photographiques inédites d'un train mythique, Villeneuve-lès-Avignon, Textuel, 2021. [ANMT BIB H 12057].

METTETAL Arthur, Orient-Express & cie : histoire et patrimonialisation d'une marque ferroviaire (19e-20e siècles), Paris, thèse d'histoire EHESS, 2022.

 

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