L’histoire de l’immigration en France est marquée par les origines de plus en plus lointaines des nouveaux venus. Du milieu du XIXe siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale, les personnes d’origine étrangères sont ainsi très majoritairement issues de pays européens. C’est tout d’abord la communauté belge qui domine. Au recensement de 1881, ils représentent un peu moins de la moitié des étrangers vivant en France (43,2 %). Au tournant du XXe siècle, ils sont dépassés par les Italiens qui s’imposent pour plusieurs décennies comme la première communauté immigrée. L’entre-deux-guerres est enfin marquée par les arrivées de plus en plus nombreuses de populations venues d’Europe centrale (les Polonais en particulier) et méridionale (Espagnols et Portugais).
"Les "pots-au-burre", les Flahutes, dit-on aussi, ce sont les ouvriers flamands qui viennent travailler en France, et s'en retournent le soir en Belgique. Jadis, tous arrivaient pour la semaine entière avec leurs vivres. Ils n'achetaient rien, ne dépensaient pas un sou, vivaient à quatre et cinq dans un garni, et travaillaient avec cette patience courageuse de bête de labour qui caractérise la race ouvrière flamande. A eux les rudes besognes, les tranchées, les terrassements, les pavages; à eux aussi les places les plus pénibles dans la fabrique, aux chaufferies, aux filatures, aux déchargements... Toujours contents, ils riaient de la peine, avec leur vigueur de gens nourris sainement de choses naturelles et simples, venues tout droit de leur sol.
Aussi de tout temps, le peuple de Roubaix-Tourcoing les a-t-il eus en grippe, ces gaillards bruyants et hardis, lents au parler, tenaces à la besogne. Et comme on les voyait autrefois passer la frontière, le lundi matin, débarquer des trains avec leur pain de six livres, leurs œufs, leur lard, et aussi leur fameux pot de beurre, on les avait affublés du surnom patois de "pots-au-burre".
De nos jours, ils viennent en vélo, chaque matin. Ou bien, pour ceux qui habitent au loin, des convois d'autobus payés par les usines s'en vont à l'aube les prendre en Belgique, dans leurs villages, pour les y ramener le soir. A six heures, aux frontières, c'est ainsi un défilé incessant de lourds autocars bondés de Flamands, hommes et femmes, entassés pêle-mêle. Ils parlent, fument, chantent, tandis que les énormes machines suivent les étroits pavés, à travers les Flandres et le Hainaut, s'arrêtant partout, desservant toute la zone frontalière, en un réseau serré, qui rayonne autour de Roubaix-Tourcoing jusque Tournai, Courtrai, Roulers et Ypres.
Sobres, satisfaits de peu, ces Belges ne dépensent guère, rapportent chez eux la semaine entière, accrue des quarante pour cent du change. Ils ont là-bas des poules, des lapins, une chèvre, un cochon, que soigne la femme. Eux, le dimanche, cultivent le bout de terre. Et ils vivent ainsi, en paysans, attachés à leur village et à leurs mœurs, race forte que n'entame pas le contact des villes, et qui, quoi qu'elle passe par l'usine, garde pourtant, étonnamment, les mœurs, l'allure, et toute la mentalité des gens de la terre".
Extrait du roman de Maxence Van der Meerch, Quand les Sirènes se taisent (1933). L'auteur évoque ici les frontaliers belges, qui ne sont pas à proprement parler des ouvriers immigrés dans la mesure où ils continuent à résider dans leur pays d'origine et ne se confrontent à l'expérience de la vie en terre étrangère que quelques heures par jour. Comme on le voit, ils n'en sont pas moins victimes de discrimination de la part des Français.